Ilyes Medallel : Faire de la banlieue son terrain de jeu

Illyes Medallel

Ilyes est de Juvisy-sur-Orge, cette petite ville du fin fond du 91, dans l’Essonne. En 2008, il choisit le foot freestyle, et fait de la banlieue son aire de jeu. À la veille d’une finale de coupe du monde, il nous parle de son amour pour le ballon rond… bien loin du terrain Russe.

Tu foulais les terrains « classiquement » jusqu’à tes 13 ans. Qu’est-ce qui a changé à ce moment là ?

J’ai commencé le foot en club à l’âge de 6 ans, mais je suis tombé dedans bien avant. Mon père m’a transmis le virus. Comme tous les gamins, je rêvais d’être footballeur pro. À l’école, je ne vivais que pour les matchs de foot de la récré – parfois je mettais même en cachette un maillot de foot pro dans mon sac, pour pouvoir le mettre au moment du match contre la classe d’en face.

Le foot freestyle est venu plus tard. Quand j’ai pris conscience de mon rapport à la ville. Il ne se passait pas grand-chose à Juvisy, et pourtant j’en ai un rapport émotionnel fort, presque affectif. Moi je ne tenais pas en place, j’avais besoin de me défouler, de m’occuper, et le foot classique ne me suffisait plus. Presqu’en même temps, je me suis rendu compte que je pouvais faire de chaque coin de rue mon terrain de jeu. Plus besoin d’un terrain avec des cages, plus aucune pression, c’était juste moi, mon ballon et ma créativité. J’ai quitté mon club dans la foulée.

Toutes les villes où j’ai vécu m’ont marqué d’une manière ou d’une autre : Juvisy, Paris, Rouen, Bangkok. J’associe chaque lieu à des moments de ma vie hyper précis. La ville, de manière générale, c’est une source d’inspiration sans fin pour moi. J’ai besoin d’y passer du temps, de ressentir une atmosphère particulière, d’observer les gens qui y vivent. Ça me fascine. Et puis chaque ville a son propre univers. Rouen, j’y étais pour mes études et j’ai adoré le côté « ville à l’ancienne » et les petites ruelles. Bangkok, c’était l’exact opposé. Une ville monstrueuse, un espèce de bourdonnement permanent, des gens partout, des odeurs indéfinissables. Paris ça reste ma ville préférée, celle où je me sens le plus chez moi. Celle aussi qui m’a inspiré le projet vidéo « Parismatic », qui inspirera lui-même plus tard le projet « Banlieues », plus fort de sens.

Illyes Medallel

L’Ile-de-France ne manque pas de spots

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Le ont des Anglais d’Alfortville – crédit Tara Mousavier

UN PASS NAVIGO, DES BANLIEUES ET UN MESSAGE

Elle vient d’où cette idée de lier ville et foot freestyle en vidéo ?

À la base je voulais surtout proposer une autre image du foot freestyle. Dans l’imaginaire collectif (en tout cas pour ceux qui connaissent), c’est un truc pour les footeux, qui se pratique sur un terrain de foot, avec des joueurs de foot. C’est pas ça pour moi.

Le freestyle vient peut-être du foot à la base, mais il s’est développé en dehors des terrains. Il a été développé dans la rue, par des mecs et des meufs qui n’étaient même pas forcément bons en match. Aujourd’hui, c’est une discipline à part entière, qui n’a pas besoin du foot pour exister.

Du coup mon but premier c’était de détacher le foot freestyle du foot classique et lui donner une dimension urbaine, une dimension esthétique.

Parallèlement, j’avais envie de mettre en avant l’univers de ma ville depuis longtemps. Ça a commencé avec Paris mais je me suis rendu compte que je connaissais super mal ma propre ville (je dis « ma ville » parce que je traînais à Paris depuis des années déjà). Et c’était pareil pour plein de mes potes. Donc je me suis dit : pourquoi ne pas utiliser le foot freestyle pour découvrir et faire découvrir la ville sous un autre angle ? De là est venue l’idée de filmer des vidéos de freestyle devant des lieux parisiens stylés qui méritent d’être mis en avant – le projet « Parismatic ». Ça faisait d’une pierre, deux coups !

Pour la suite, je me suis rendu compte que Paris n’avait pas forcément besoin de « pub » – il y a des milliers de blogueurs et de guides qui s’en occupent déjà. « Banlieues ». Cet ensemble que je connais tellement mal, alors que j’y ai quasiment passé toute ma vie. Ça m’a frappé d’un coup, en mode « mais t’es sérieux de n’y avoir jamais pensé ? ». Je m’en suis presque voulu. Et c’est devenu une obsession : aller voir à quoi elle ressemble, et la montrer au reste du monde. En utilisant l’art du freestyle.

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Sous un pont de Saint Denis

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Ou le pont des Anglais ? – crédit Tara Mousavier

Pourquoi c’est important, « de la montrer au reste du monde » ?

C’est hyper important parce que je trouve qu’on manque de curiosité quand on est chez nous. Quand on voyage dans un autre pays, on adore se balader, prendre des ruelles excentrées, marcher au hasard, explorer des coins complètement perdus. On trouve que tout est beau. Et quand on rentre, on ne pense qu’à repartir. C’est particulièrement vrai à Paris… J’ai eu envie de montrer qu’on pouvait faire la même chose chez soi. Qu’on n’a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour faire de vraies découvertes.

Après, ça me tient encore plus à cœur de faire ça en banlieue parisienne parce que pour le coup, c’est des endroits où personne ne va. La banlieue souffre d’une image assez dure : c’est gris, c’est violent, c’est moche… et j’exagère à peine, c’est ce que j’entends à longueur de journée. J’ai lancé ce projet pour bousculer un peu toutes ces idées. Je suis persuadé qu’il y a du beau partout et que c’est à nous de creuser. La basilique de Saint-Denis (93), le lac d’Enghien-les-Bains (95), le parc de Meudon (92), les ruelles de Marly-le-Roi (78), la pagode d’Evry (91)… j’ai vu des spots vraiment incroyables, je ne m’attendais pas à tout ça.

Les vidéos « Banlieues » elles ont toutes le même but : faire découvrir les paysages de banlieue. À la limite le freestyle est secondaire. Je veux surtout qu’on se concentre sur le lieu et ce qui s’en dégage. Je fais presque l’inverse quand je filme sur Paris : c’est souvent pour ds mini court-métrages, des vidéos de freestyle un peu plus élaborées où le lieu sert simplement de cadre.

À qui tu veux parler avec ce projet « Banlieues » ?

Franchement, à tout le monde !

Aux banlieusards qui sont fiers de chez eux, qui en ont marre de vivre dans l’ombre de la capitale et qui aimeraient qu’on mette leurs quartiers en avant.

Aux banlieusards encore, ceux qui n’ont jamais pu prendre le temps d’explorer leurs environs et qui ne connaissent de la banlieue que leur rue et leur gare.

Aux parisiens purs et durs, qui ont peur de franchir le périph’ ou qui ne le font pas simplement par manque d’intérêt.

Au reste de la France, surtout celle qui regarde les chaînes d’infos en continu et qui doit penser que la banlieue est un ghetto sans fin.

Au reste du monde, qui ne connaît de la France que les monuments classiques de Paris.

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Loin du gris, le lac d’Enghien – crédit Caroline Piot

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Beau de jour comme de nuit – crédit Guillaume Bitton

ART DE RUE

On dit que le foot freestyle est un art de rue : ça veut dire quoi pour toi ? Tu l’ancres dans quel univers ?

C’est complètement un art de rue. Par son essence même, c’est un art qui se pratique dans la rue, donc l’appellation est parfaitement trouvée.

Pour moi le foot freestyle, c’est à la fois un sport qui demande des heures d’entraînement, de la technique, de la rigueur, de la discipline… et un art, qui demande de la créativité, de la recherche, de la fantaisie même.

On peut freestyler absolument partout, c’est une discipline qui en ça a énormément de points communs avec le hip-hop – d’ailleurs freestylers et danseurs s’entraînent souvent ensemble.

Qui inspire ton taff ?

Niveau foot freestyle, il y a un polonais qui s’appelle Michryc. C’est une légende. Il a un univers complètement atypique, des gestes sortis de nulle part, il fait de la musique aussi, bref c’est un artiste complet. Il m’a inspiré dès mes débuts, et c’est toujours le cas aujourd’hui.

En dehors du foot freestyle, il y a plein de monde qui m’inspire, que ce soit dans le rap, la photo, la vidéo, la création en général. Parce qu’ils sont méga forts et qu’ils arrivent à repousser les limites de leur art en permanence. Alpha Wann (rap), Greg & Lio (vidéo), Little Shao (photo)…

Pas encore de collabs, mais ça ne saurait tarder… j’ai préparé le terrain pendant un an et demi, histoire d’avoir quelque chose qui ressemble à une identité artistique. Là, je me sens un peu plus en mesure de chercher des collabs, contrairement à avant où je faisais tout tout seul. J’aimerais bien avec d’autres disciplines urbaines. Foot freestyle x skate, ça passerait super bien je pense. Avec le parkour aussi, ça donnerait quelque chose d’intéressant. Je suis ouvert à tout, le plus dur c’est de choisir.

Illyes Medallel

LA BANLIEUE POUR FUTUR

Parlons de tes projets futurs, de tes ambitions. Ton projet banlieue aura un petit frère ?

Souffler un peu pendant l’été d’abord, puis continuer le projet « Banlieues » – il me reste trop d’endroits à explorer : Montreuil, Noisy-le-Grand, Créteil, Cergy… Inviter d’autres artistes de banlieue sur mes vidéos aussi – notamment pour qu’ils me présentent leurs territoires. C’est un projet qui peut aller super loin, il y a mille choses à faire. Pourquoi pas une expo « en vrai », quand j’aurai un peu plus de matière, qui présentera le projet dans son ensemble, avec des anecdotes, des images inédites… histoire de sortir du virtuel d’Instagram et de rendre tout ça un peu plus concret.

Le message, c’est : « on vit dans un monde très dur, mais la vie est quand même super belle, venez on s’en sort tous ensemble ». C’est ultra naïf mais ça me va.

J’encourage vraiment les gens à prendre des initiatives. Souvent on attend que ça vienne des autres, alors que le meilleur moyen d’agir, c’est de commencer par soi-même. Surtout en 2018 : n’importe qui peut se lancer avec très peu de moyens. On peut avoir un impact énorme, beaucoup plus facilement qu’avant. Donc oui, peu importe le domaine, si tu ressens le besoin de t’exprimer, de créer, d’explorer : fonce. Et les médias ont clairement un rôle à jouer là-dedans : à l’ère du tout-connecté, je pense qu’on a besoin de se recentrer sur les initiatives humaines. Donc plus de reportages à vocation positive, et moins de faits divers sordides. On n’a pas besoin de super stars, juste d’hommes et de femmes qui s’inspirent. Ensemble.

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Saint-Denis – crédit Camille Bonazzi