Interview | Basile3

Basile3

DJ/producteur français de 25 ans, Basile3 sera à l’affiche du Club 94 du Noise Festival 2018, le vendredi 6 avril. Des mélodies aériennes qui colorent ses productions aux rythmes saccadés et funky de ses DJ sets, le résultat est le même : une musique intrigante, aux multiples visages. Quel artificier se cache derrière le masque ? Rencontre.

Hello Basile3, en se baladant sur ton Soundcloud on tombe rapidement sur une compilation de Gang Fatale. Tu peux nous expliquer qui c’est et quel est ton rôle dedans ?

Alors, Gang Fatale ce n’est pas un label mais un collectif de DJ/producteurs que j’ai rejoins il y a environ 3 ans. C’est un collectif né à Londres autour de Neana et Rara qui compte aujourd’hui une dizaine de membres entre Philadelphie, Copenhague, Manchester, Berlin, Londres, Toulouse et Paris. On fait de la musique ensemble, on se partage aussi nos dernières productions, ce qui permet de créer des synergies intéressantes. Parfois un membre plus fort dans tel ou tel domaine va aider un autre sur un morceau précis. Etre rassemblés sous ce nom permet aussi de jouer dans divers endroits. Aujourd’hui, la distance fait que chacun évolue un peu séparément et poursuit sa carrière solo mais ça crée une certaine émulation de pouvoir échanger et de jouer les morceaux de ses potes en soirée.

Justement qu’est ce que tu joues en soirée ? 

Ça dépend vraiment de l’évènement auquel on m’invite en fait. Selon le lieu, l’heure, le public auquel je peux m’attendre, j’essaye de faire une sélection assez large. En gros je fouille dans ma collection, j’écoute des morceaux que j’ai trouvés à droite à gauche et j’essaye de me projeter dans l’événement en organisant une ou des playlists. Sans pouvoir parler de style particulier, pendant les soirées clubs, j’aime souvent jouer des choses assez breakés/chaloupés produites un peu partout dans le monde et faire beaucoup évoluer le tempo. En ce moment j’aime bien partir de 75bpm, passer par les 100bpm, pour terminer à 135/140bpm. Il y a une ADN funk digital dans la plupart des sons. Mes sélections sont souvent infusées dans des références rap & r’n’b US. Dans mes sets j’essaye toujours de faire des ponts entre différentes scènes et esthétiques. Ça pourrait se rapprocher de ce que fait quelqu’un comme Total Freedom et tous ces « enfants » même si ça reste encore marginale. Je me dis aussi que mon genre de dj set peut ressembler à ce que font Feadz ou Orgasmic par exemple. Il y a une idée de musiques de fêtes hybrides et urbaines à travers le monde.

Pochette de l’album Recyclable Pop Exercise de Basile3

Pour le coup tes productions sont moins club, presque ambient, quelles sont tes inspirations ?  

Mes productions sont vraiment une facette différente pour moi par rapport à mes DJ sets (enfin pour les DJ sets club, quand je joue en warm-up ou à des événements plus relax, je vais mixer plus des choses plus ambient). En terme d’inspiration pour les mélodies que j’aime, il y a toujours un espèce d’équilibre instable entre des choses qui renvoie à des sentiments plutôt tristes et en même temps plein d’espoir ou de plénitude. Ce genre d’atmosphère peut aussi se retrouver dans des prods de RnB autant à la Neptunes que The Dream, ou dans des musiques ambient ou alors de synth-pop et toutes sortes de bizarreries encore. Pour faire simple la référence ultime en composition c’est Sakamoto.

Ma musique reflète l’état dans lequel je me sens lors de la production. C’est une expérience intime d’un peu tout les stimulis que je reçois et que j’extériorise. Ce qui est selon moi le principe de l’art de manière général (même s’il y a milles façons d’approcher ça) : c’est à dire communiquer quelque chose par un certain médium parce que l’on n’arriverait pas forcément à l’exprimer autrement. Du coup mon medium privilégié, où je me sens vraiment à l’aise, c’est la musique. Même si je pense être en phase d’élargir un peu ça en m’ouvrant à d’autres champs.

On voit dans les illustrations de tes albums, ou les artworks de tes émissions de radio, une récurrence d’images de nature, d’où te vient cet intérêt pour cette esthétique ? 

Je viens d’un environnement urbain et j’ai toujours vécu dans des grandes villes mais cet intérêt pour le végétal c’est quelque chose qui m’a parlé assez tôt finalement. Dans ma musique, même si c’est très imagé, abstrait et peut-être parfois hermétique, il y a cette question qui revient souvent autour du rapport et de la relation qu’entretient (ou pourrait entretenir) l’homme avec la nature et son environnement.

En parallèle de la musique j’ai fait des études en géographie et aménagement du territoire pour creuser ces questions. Mon master était particulièrement porté sur les alternatives ou les enjeux de transitions durable en milieu urbain et rural. Ça m’a permis de développer une réflexion politique sur ces sujets, bien qu’au final j’en ressors avec surement encore plus de questionnements et moins de certitudes. Néanmoins ça m’a beaucoup apporté sur ma façon d’être et de me positionner.

 

Est ce que tu es aussi sensible aux problématiques soulevées aujourd’hui dans les scènes des musiques urbaines, comme la représentation des femmes ou des minorités ? 

Oui carrément, je suis content que ces questions soient de plus en plus visibles depuis quelques années. Ça m’avait l’air d’être une question jamais trop posé auparavant, du moins pas avec autant de visibilité dans les musiques électroniques. Après c’est peut-être une histoire de génération, d’époque et de scènes que je n’ai pas connues, mais je pense que cela vient aussi de la démocratisation de la parole et de la visibilité avec les réseaux sociaux.

Pour ma part, je mixe beaucoup de styles de musique qui viennent originellement de milieux  racisés et pauvres, que ça soit aux Etats-Unis, au Brésil ou à Durban par exemple. Il y aussi énormément d’artistes que j’aime qui viennent des milieux queer. Du coup je suis forcément sensible à ces questions. Je me suis souvent questionné sur les raisons de mon attraction vers ces styles de musiques et ma légitimé à les mixer et à me mettre en avant avec ça, alors que je ne viens pas de ces milieux. Du coup j’essaye de faire attention à la place que je prends. C’est aussi une des raisons pour lesquelles mon activité de DJ et de musicien-producteur peuvent paraître un peu déconnecté, c’est pour moi deux choses différentes. En production je vais pas essayer de reproduire des esthétiques avec lesquels j’ai pas de liens direct au quotidien, j’essaye de rester honnête.

À mon niveau, il n’y a pas vraiment encore d’argent en jeu mais j’ai bien conscience qu’être un DJ/producteur avec la moindre notoriété « médiatico-sociale », c’est un peu imposer une sorte de domination culturelle la où d’autres groupes sociaux se sentent moins légitimes de le faire. Et c’est bien la le cœur du problème. Je trouve ça injuste et peu nourrissant intellectuellement. Je pense qu’il faut laisser de la place et supporter les initiatives qui viennent directement de groupes sociaux structurellement défavorisés. Après c’est vraiment des questions complexes parcequ’il y a beaucoup d’inerties en jeu, tout ça repose en partie sur des copinages qui se font naturellement et sans forcément mauvaise pensée derrière. Donc je suis plutôt content de ce qui se passe dans le débat, même s’il faut rappeler que ces discours restent encore marginaux et ont encore peu d’impact sur une des questions centrales de ce débat : « où va l’argent ? ».

Basile3

Pour se rapprocher de la date Club 94, tu connais les autres artistes de la soirée ?

Oui ! J’ai vu Lala &ce à l’Amour l’été dernier, il y avait une bonne énergie, j’ai hâte de la revoir. Je joue juste après elle, c’est un beau défi pour moi. En plus de ça après moi c’est Voiron, qui joue donc plutôt acid/techno/rave et ça me parle bien de faire ce grand pont, on verra ce que ça donne, je ne sais pas encore à quoi m’attendre. En tout cas j’aime vraiment bien le fait que ce line-up réunisse des gens de différentes scènes.

Pour toi c’est quoi la fête réussie ?

La fête réussie quand t’es DJ c’est clairement quand tu sens que le public est assez proche de toi et qu’il est excité comme toi à chaque nouveau morceau que tu passes. Quand ça arrive ç’est assez fou. Le lieu joue aussi beaucoup là-dedans. Par exemple j’habite à Toulouse en ce moment, il y a un endroit super qui s’appelle Hors-jeu, un entrepôt où tu peux venir avec ton alcool. Sur place rien n’est cher et tu n’es pas fliqué du tout. L’ambiance est vraiment bien et la musique est souvent bonne de A à Z. C’est ce genre d’ambiance qui me plaît, plus que les clubs qui mettent de nombreux freins à une ambiance conviviale, pour plein de raisons.

L’été dernier j’ai joué plusieurs fois dans un squat avec Jacques Jaguar, au Garage à Bagnolet je crois. Il y avait une grosse réception sur tous les sons de la part du public. On était environ une centaine mais c’était que des amis d’amis en gros, c’était assez magique. J’étais d’autant plus content que j’avais tendance à voir ce genre d’ambiance et de lieux pour des événements plus orienté techno/house/disco qui ne me parlent pas trop et sont plus éloigné du genre de musique que je joue. Mais ce qui se passait à Bagnolet m’a prouvé que c’est juste une histoire de circonstances et de rencontres pour que ça se produise.

Et sinon, quels sont tes prochains projets ? 

Actuellement, bien que j’aime toujours autant mixer, je travaille aussi sur des live sets beaucoup plus personnels. Je bosse sur un live solo, plus introspectif et pour des moments calmes. Je suis également en train de finir un projet pour le super label multimédia français Permalnk, ça devrait voir le jour dans les prochains mois. À côté de ça, avec Désir D’Enfant nous sommes en train de monter un projet live qui est une espèce de pop urbaine/post-punk/expérimental chanté en français à base de gros subs. On est encore au début de ce projet mais ça va être hyper intéressant je crois !