Portrait | Fahima : un trajet d’exception

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Une jeune femme se démarque avec son manteau jaune. Pour une fois qu’elle prend le RER E, Fahima fait la lumière sur son parcours.

La gare de Bondy, il est 15h30. Sur le quai délaissé du week-end, la silhouette d’une jeune femme en manteau jaune se détache sur le ciel gris de l’hiver. Elle se recroqueville pour conserver près d’elle le plus de chaleur possible, les mains enfoncées dans les poches, le menton rentré dans une écharpe noire. En plus d’une petite sacoche en cuir noire qu’elle porte en bandoulière, elle tient une petite boîte en carton orange, comme celles dans lesquelles on range les pâtisseries qu’on achète à la boulangerie. La silhouette se met en mouvement : elle jette un mouchoir à la poubelle juste derrière elle puis se retourne face à la voie.

Fahima a 31 ans, malgré ses vêtements aux couleurs claires et chatoyantes, elle a l’air fatigué, ses traits sont tirés. Pourtant elle est toute apprêtée. Reste son air bienveillant et ouvert, qui invite à la discussion.

Fahima vit à Villepinte, sur la ligne B du RER. Elle travaille à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle prend le E. Aujourd’hui, elle a fait escale à Bondy. On l’attend à Chelles pour un anniversaire. Ce qui explique sa petite boîte en carton orange.

Fahima travaille comme agent de sûreté à l’aéroport. Elle effectue chaque jour le contrôle des passagers, des équipages et du personnel de l’aéroport ainsi que de leurs bagages et de leurs affaires personnelles. D’après elle, c’est un travail usant et fatigant. Il y a tout le temps quelqu’un à vérifier ce qu’elle fait, tous les jours, toutes les heures. « On fait ça parce qu’on a pas trop le choix » comme elle dit. Cela va faire dix ans qu’elle fait ce métier pour manger et payer les factures. Elle doit aussi s’occuper de son enfant de dix ans qu’elle élève avec son compagnon. Ils ne sont pas mariés, « on est très bien comme ça pour l’instant ».

Elle jette un oeil au train qu’on entend arriver ; ce n’est pas le sien. Elle reprend.

Pour Fahima, la vie à Villepinte est super, même nickel. La ville est à cheval entre deux gares. Il y a le RER, des bus. « Où je suis, c’est parfait » dit elle d’un ton absolument persuadé. Fahima est née en France mais ses parents sont Algériens, de Sétif. Ils sont venus s’installer en France après la Guerre d’Algérie. Elle-même est déjà allée en Algérie. Elle y a encore beaucoup de famille, très peu ont fait le voyage jusqu’en France. Quand elle compare les deux pays, elle insiste sur les différences, nombreuses. À Alger, il y a des taxis, des bus, même le métro mais à côté, ça reste très rural. Et « faire une gare dans une campagne n’a aucun intérêt ».

Le RER en direction de Chelles-Gournay entre en gare. Fahima sourit et se dirige vers la porte la plus proche. Elle monte dans le train et se perd dans la foule des autres passagers, vêtus de vêtements sombres, elle se détache toujours avec son manteau jaune.


Écrit par Margotte Le Goff

Illustration par Afroboyiv

Article extrait de la série de portraits sur le RER E

Le 6 décembre 2017, onze jeunes auteur.e.s sont partis à la rencontre de parfaits inconnus sur les quais et dans les rames du RER E. De ces rencontres, ils ont choisi de mettre en lumière une ou deux personnalités. Voici donc la première série d’articles du programme « Le Bruit de ma Ville » : des portraits d’usagers de la ligne nord du RER E.