Déambulations nocturnes avec Triplego

William Gilbert

C’est à peine si on avait entendu parler, l’année dernière, de la sortie de « Putana », deuxième mixtape du groupe Montreuillois Triplego. Comme un murmure, la rumeur se répand néanmoins chez les plus avertis : une tempête « Cloud » s’annonce. Les clips « Codé » et « Monaco » mis en ligne ce mois-ci, sont les prémisses de la mixtape qu’ils nous promettent. Plongée dans l’univers nuageux de Triplego, où fumées et nébuleuses côtoient introspection et errance.

William Gilbert

Dans la clarté obscure des nuits embrumées

Posée délicatement sur les productions suaves de Momo Spazz, à peine murmurée ou nonchalante, la voix de Sanguee survole avec fluidité des tons obscurs, enivrants. Triplego nous entraîne dans une balade nocturne à travers un Paris désenchanté, entre déceptions et faux semblants.

Dans « Codé », une femme baignée d’un rose charnel et lugubre ondule sur une production mélancolique, emportée par la voix profonde d’un Sanguee dissimulé dans l’ombre. D’emblée, Triplego instaure un climat étrange et mystérieux, un flow en apesanteur qui dépasse les limites du rap.

 « C’est la nuit que tout devient plus beau ou plus sombre. C’est la nuit que les étudiants redeviennent des bicraveurs et que les filles deviennent des sirènes. »

 

Alors que leur première mixtape « Eau Calme » sortait en été et proposait une ambiance océanique et aérienne, «  Eau Max » semble se diriger vers des ambiances plus sombres. Dans « Monaco », deuxième extrait mis en ligne cette semaine, le groupe arpente des chemins que seuls connaissent les noctambules et les rêveurs. La voix, poussée dans la réverbération comme pour en accentuer le mystère, se pose d’un ton halluciné sur une composition vaporeuse et atmosphérique.

 

Avec pudeur et réalisme, Triplego nous entraîne dans un univers de délices glauques. La ville, appréhendée comme lumineuse et menaçante, est aussi bien royaume du vice que temple du rêve. Si Sanguee attend la nuit, c’est pour mieux briller dans cette clarté obscure qui définit son rap alternant toujours entre lenteurs angoissées et lyrics virulents.

« La nuit m’aide à écrire et la nature m’aide à réfléchir. Si je pouvais remplacer mes rap par le bruit du vent qui caresse les arbres et mes chants par celui des oiseaux je le ferai. »

 

Dans les méandres du genre

Si PNL a permis de faire connaitre le « Cloud rap », Triplego l’élève à son paroxysme. Ce sous-genre expérimental encore peu représenté en France se définit par un beat ralenti, un style aérien et un flow aussi planant que les drogues qui l’ont rendu célèbre. Cependant, Sanguee et Momo Spazz ne se revendiquent d’aucune mouvance particulière. Leur rap, c’est le fruit de leurs expériences intimes, le produit de leurs déambulations dans les dédales de la vie. Rien de plus qu’une création artistique. Et ce qui prime en effet lorsqu’on écoute le groupe, c’est le soin apporté à la musicalité et à l’harmonie. La voix et la production, qui semblent tous deux être des instruments de musique tant l’une s’accorde avec l’autre, cristallisent une tristesse douce et chuchotante.

 « On n’appartient à aucun style en particulier. On essaie juste de faire de la bonne musique en cohérence avec notre mode de vie et ce que nous sommes. Peu importe comment on appelle ça. »

William Gilbert

Remise en question, femmes, amour, religion ou drogues sont autant de thèmes qui composent l’imaginaire du groupe. Si vous voulez en retrouver les membres, il faut s’aventurer dans une nuit sans étoiles, dans la pénombre d’un parc parfumé ou à la lumière crépusculaire d’un matin sans rêves.

« Le rap c’est un moyen de cristalliser et photographier des moments de ma vie. Les bons moments, les mauvais moments et les moments de solitude. Quand tout le monde te lâche y a que tes passions qui te tirent vers le haut. Les trois quart des rappeurs rappent des fantasmes qu’ils n’ont jamais vécus. Moi je tiens à ce que tous mes textes soient vrai »

William Gilbert

Tapis dans l’intimité d’un studio montreuillois, voilà un an que les deux membres de Triplego explorent ainsi les contours d’une musicalité qu’ils veulent profondément sincère. Les deux extraits qu’ils nous offrent pour patienter jusqu’à l’EP témoignent d’un style qui, à la manière d’un bon vin isolé un certain temps, s’est affiné en prenant de l’âge.

« On avait besoin de recul. On a sorti Eau Calme et Putana la même année, on avait besoin de se poser, se rafraîchir les  idées, de vivre tout simplement. On a 24 ans, on est encore à l’aube de nos vies ! On apprend et on grandit tous les jours, on a vraiment voulu prendre le temps de vivre la vie »

Triplego, c’est la liqueur qu’il te faut pour tes soirées passées dans la fumée bleuâtre d’un appartement parisien, la playlist de tes after nostalgiques et le son de tes lendemains déçus. C’est le genre de musique que tu écouteras dans quelques années en visualisant parfaitement les affres lumineuses et désarticulées de tes escapades nocturnes dans la ville, sorte d’empreinte inébranlable d’une génération sous drogue.

EP « Eau Max » disponible le 14 Mars en téléchargement sur leur site

William Gilbert

 


Texte : Yasmine Ben Njima
Photos : William Gilbert