L’interview « Paye ta Ville » avec Hippocampe Fou

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  1. Après ses deux opus « Aquatrip » et « Céleste » sur les thématiques des fonds marins et des cieux, Sébastien Gonzalez aka Hippocampe Fou clôture sa trilogie cette année avec « Terminus » et un univers plus sous-terrain et personnel. En tournée dans toute la France et sur la scène du Trianon le mois prochain, Hippo nous explique avec ses mots sa relation à Paris, mais aussi sa vision de New York où il a récemment posé ses valises.

T’habites où ?

J’habite à New York et à Paris.

Et t’y es depuis combien de temps ?

Paris j’y suis presque né. C’est la ville de ma jeunesse, ma ville d’enfance, d’adolescence et d’âge adulte. Je suis parti à New York avec ma famille l’année dernière et je fais des allers-retours avec Paris. Je suis la moitié du temps à Paris, la moitié du temps à New York.

Ton premier souvenir marquant dans ta ville ?

Le centenaire de la fabrication de la Tour Eiffel, en 95 je crois. Il y avait une grosse fête sur le Champs-de-Mars et ça fait partie des souvenirs marquants qui ont rassemblé des gens, parce que sinon des souvenirs de cour de récré, un tel qui s’est moqué de moi etc… j’en ai.

Comment tu dirais que t’as vu Paris changer ?

J’ai grandi dans le 15ème arrondissement et je l’ai quitté quand j’avais 20 ans et quelques pour m’installer dans le 18ème. Je ne sais pas si c’est ma vision qui a changé, j’étais enfant et je voyais le 15ème avec mes yeux d’enfants. Ça a toujours été un quartier familial avec pas grand-chose pour se divertir, mais quand j’y retournais après, parce que ma mère a vécu là-bas encore, j’avais l’impression que ça s’était embourgeoisé, avec des caisses, des BMW, des Mercedes que je voyais pas avant. Mais c’est le cas d’un peu tout Paris, les zones un peu chaudes se sont gentrifiées et le 15ème qui était assez tranquille s’est embourgeoisé aussi… Tous les gens qui ont mon âge galèrent à se loger et à trouver un appart accessible à moindre coût. Donc finalement pour rester sur Paris il faut un petit espace ou se délocaliser.

Est-ce que c’est quelque chose que tu regrettes ?

J’ai commencé vraiment à me balader à Paris et à découvrir tous ses recoins quand j’avais 18 ans je crois. Je commençais une fac de ciné et je m’étais fait des marathons dans tous les cinémas d’art et d’essai du quartier latin, Odéon, Saint-Michel, en allant voir ces vieux films. J’ai découvert que Paris était une ville magnifique et qu’il y avait trop d’endroits que j’avais vu en me baladant avec mes parents ou mes potes, mais c’est là que je suis vraiment tombé amoureux de Paris. J’aime encore plus Paris maintenant que je l’ai quitté. J’adore ses ruelles, la construction de la ville en escargot, je trouve ça…Paris en elle-même ne change pas vraiment, mais le parisien oui. Les générations se succèdent et c’est comme ça partout, je reste assez optimiste et j’ai l’impression qu’on va vers quelque chose de mieux, de plus tolérant. Il y a toujours du racisme et des choses comme ça, mais ça reste mixte. Il y a pas ce truc que j’aime pas à New York, qui est communautaire. Évidemment, il y a des petits endroits où les gens se retrouvent et parlent des pays où ils ont migré, mais les quartiers sont pas mélangés et je trouve ça bien à Paris. J’ai une vision assez idyllique malgré tout.

À Paris t’aimes bien te poser où ?

J’aime un peu le Paris pour touriste, mais dans les petites ruelles où il n’y a pas plein de touristes. Si je suis à Montmartre, je m’éloigne de la grande place. Je me balade dans les rues un peu cachées, celles que les gens ne vont pas nécessairement explorer, parce qu’ils ont un programme, qu’ils ont pas le temps, qu’ils enchaînent… Tous ces petits recoins, où il y a le Bateau-Lavoir là, j’y ai habité pendant quelques années avant de passer de l’autre côté de la butte. Étant papa avec une vie un peu rangée, même si je voyage beaucoup à cause de mon travail, même si je suis pas du genre à sortir comme un ouf, à faire la tournée des bars, etc, j’aime bien Montmartre, le quartier latin, l’île de la Cité, l’île Saint-Louis. Il y a des petits recoins où tu te sens isolé quand même. À Venise par exemple, les gens disent toujours que c’est un blindé, que c’est horrible, mais un peu de zigzag entre deux trois ruelles et tu te retrouves dans des décors type Assassin’s Creed.

Hippocampe fou interview artiste rap hip hop

Place Émile Goudeau et le Bateau-Lavoir

Une expression de ta ville que t’aimes bien ?

Le verlan, même si ça devient une forme de langage un peu désuet parce que ça s’entend de moins en moins. Je me souviens avoir fait un atelier d’écriture, et on s’est moqué de moi parce que j’ai dit « chanmé ». Il y a des trucs comme « ça fait tiep » c’est resté, mais « chanmé » ça se dit plus. Les mecs d’IAM disaient qu’à Marseille, c’était pas nécessairement très utilisé, et moi je le rattache à Paris. Le verlan, j’ai un peu l’impression que c’est le truc qui existe pas aux States, au Québec. C’est un peu la fierté de l’île-de-France.

C’est quoi le bruit de ta ville ?

Les sirènes de police. C’est un truc qui est vachement rattaché à une ville. À New York avec leur bruit de jouet pour enfant et en France, je vais écouter une interview et entendre la sirène de police de Paris et ça me transporte. Même si je n’aime pas nécessairement l’entendre, parce que ça laisse penser qu’il y a un problème. Sinon ce que j’aime bien c’est le côté cosmopolite de lieux où les gens parlent différentes langues, ou des touristes qui parlent leur langue. J’aime bien entendre des langues différentes quand je me balade.

Ça a pu t’influencer dans tes productions ?

Pas vraiment… Je suis un grand fan de cinéma, et plutôt que de faire un rap ancré dans la réalité, dans mon quotidien, dans ma ville, j’ai préféré m’en éloigner, m’en extraire et rêver à travers quelques textes, chansons. Même maintenant, alors que je reviens à quelque chose de plus introspectif dans la démarche, je reste quand même, j’essaie de faire des trucs intemporels et universels. Je me raccroche pas à la ville où j’ai grandi, je le clame pas haut et fort dans mes chansons. Il y a plein de gens qui savent même pas que je suis de Paris. Je suis pas supporter, fan de foot, même de l’équipe de France. Je suis heureux que les gens soient heureux, ils se trouvent qu’ils sont tous français, mais pour moi ça reste une équipe de foot, sinon tu rentres vite dans un truc « c’est nous les meilleurs » et peut-être que j’extrapole, mais c’est comme un premier pas vers une potentielle guerre. Les supporters sont à fond et ils disent « faut qu’on batte les autres » mais on est tous frèèèères ! Je suis pas là à défendre ma ville, mon origine, je préfère me mélanger aux autres et amener mon propre code génétique, mes origines, ma lignée. Chacun a son propre bagage, c’est ni la ville, ni les origines qui te définissent, même si il y a pas de raison de les renier. Quand je suis à New York, j’ai un petit pincement au cœur quand je repense à la France, à sa culture. C’est plus parce que j’ai des potes, des attaches, que j’ai vécu des choses ici. Je suis nostalgique de ce que j’ai pu vivre, mais pas forcément du lieu, du nom de la ville. Au final les mecs qui clament haut et fort la ville d’où ils viennent, c’est important parce que c’est une fierté, mais c’est aussi se séparer des autres en disant qu’on vient d’endroits différents, mais je sais pas, au final… Moi je suis pour pouvoir se balader librement dans le monde et pouvoir devenir New Yorkais, Parisien, Marseillais, même sans passeport même si c’est une autre discussion.

La ville où t’aimerais bien habiter ?

C’est plus des décors dans lesquels j’aimerais vivre. C’est pas une ville en particulier, c’est une ambiance. Moi j’ai aucune connaissance en architecture mais je sais apprécier un beau bâtiment, de beaux vestiges. J’aime quand ça sent le vieux, les villes super modernes, et encore New York c’est un peu passé, délavé, faudrait plus aller à Dubaï, Shanghai, etc… Même si je suis pas forcément attiré par ça, le côté ultra moderne, on fonce, on réinvente l’histoire. C’est une démarche importante mais qui me fait pas vibrer. J’ai plus aimé Venise, les Cinque Terre, l’Italie je m’y perdrais bien un petit peu, je serais ravi d’y vivre quelques années.

Hippocampe fou interview artiste rap hip hop

Les Cinque Terre – Italie

Ta ville imaginaire ?

Il y aurait des projections en plein air tous les mois de l’année, même quand il fait moche. On mettrait une petite bâche pour se protéger de la pluie. Je suis fan de ciné, donc j’aime pouvoir aller au ciné comme ça, dès que je le veux. C’est finalement un lieu où certes on regarde le film en silence, mais on vit le truc tous en même temps et derrière, il y a de la discussion qui est possible. Lire un roman, c’est plus long et chacun le vit à son rythme. On peut en parler ensuite, mais c’est quelque chose qui rassemble potentiellement moins de gens qu’un concert ou une projection de ciné… Ce serait un peu tous les jours la fête de la musique, dans des lieux pensés pour que les enfants comme les miens puissent dormir le soir, ce serait la teuf. Pas nécessairement la beuverie, mais le truc où il fait bon vivre, où on prend le temps de sentir passer les jours, les semaines, où on est pas dans la course. On a cette vie qui nous file entre les doigts et il y a besoin de moments où on prend le temps, où on se fait un peu chier et où on refait le monde. C’est très bobo dans l’esprit, même si c’est plus bohème que bourgeois. C’est le truc un peu épicurien : tu manges bien, tu fais l’amour quand tu veux faire l’amour, dans le respect des autres. Aussi ce truc d’entraide, on voit quelqu’un en galère, on l’aide. Une communauté au-delà de la ville, sans tomber dans le cliché Hippie, mais ce côté Peace and Love, c’est de belles valeurs. Moi ce serait vraiment être cool avec des gens à rencontrer, des amis de longues dates et beaucoup de cinéma, de musique.

Ta ville cauchemardesque ?

Une ville où il fait tout le temps gris avec des bâtiments assez modernes, qui se veulent modernes mais qui sont juste dégueulasses. Une ville où on rase toute la végétation, où on n’écoute pas l’autre parler, où on ne fait que s’écouter parler… Ça ressemble à beaucoup de villes. Sans musée, sans petits monuments ou un petit truc qui te rattache au passé et aux gens qui ont vécu avant toi, ne serait-ce qu’un cimetière. Il n’y aurait pas de cimetière. Finalement, ce besoin de savoir qu’il y avait des gens avant nous qui ont pensé des choses, vécu des choses, respiré un air qui était pas si différent, si ce n’est moins pollué. Avec une fascination pour le futur et comment se protéger d’une éventuelle guerre, toujours dans le stress et l’angoisse du pire qui puisse arriver, avec du pessimisme, de l’égoïsme, de l’égocentrisme et sans art.

Qu’est-ce qui t’apaise en ville ?

Les squares, c’est reposant. Tu te reconnectes un petit peu à cette nature dont on a tous besoin. De là à vivre en pleine campagne, je suis trop citadin pour ça, mais les espaces verts c’est important. Les lieux de vie commune quand c’est mélangé à de la verdure c’est toujours plus charmant, moi je me sens bien dans ces trucs-là. Après j’aime bien Disneyland aussi, c’est aussi cette fascination pour le cinéma, et j’aime bien le côté décor de cinéma. Tu peux faire le travail mental pour que ça ait l’air vrai. Après quand c’est le Machu Picchu et que c’est une vraie ville qui a vraiment existé, c’est encore plus magnifique.

Qu’est-ce qui t’énerve en ville ?

Les gens individualistes, mal élevés. Ça fait un peu vieux mec coincé, mais je trouve qu’il y a un savoir vivre humain. Tenir la porte à quelqu’un dans le métro, pas forcément quand il est à 200mètres, dire bonjour/merci. Aussi avoir l’esprit commerçant sans forcément penser au pourboire que va laisser le client. Se dire «  je suis celui qui mérite le plus d’être dans ce lieu, dans ce parc », alors que chacun mérite de s’amuser, de profiter du même temps et des mêmes lieux que toi.

La ville le jour ou la nuit ?

Je suis assez nocturne. J’aime le fait que moins de gens travaillent, qu’il y ait moins de circulation. La nuit il y a un peu moins de stress, un peu plus de lâcher prise, l’alcool aidant parfois. Le seul truc qu’il me manque un peu la nuit, c’est les rires d’enfants, vu qu’ils dorment. Pendant les vacances, le devoir de mémoire ça marche dans l’autre sens aussi, et c’est sympa de les voir s’émerveiller pour plein de choses, émerveillement qu’on a un peu perdu avec toute ces années de « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie, je trouve pas de boulot, est-ce que ce que je fais va marcher », normale pour un adulte mais qu’on se pose pas quand on est enfant.

Un lieu à Paris ou New York pour un clip ?

Des lieux où c’est compliqué de filmer. Les catacombes, les stations perdues de Paris, ou à New York, faire des plans en base jumping depuis l’Empire State Building. New York c’est le côté vertigineux qui est impressionnant, sur le pont de Brooklyn quand on voit Manhattan, il y a pas d’équivalent à Paris, ça envoie moins de rêve

Tes habitudes à Paris ou New York ?

À Paris je fume beaucoup plus, parce qu’à New York ça fume moins. Ça coute plus cher et c’est beaucoup moins bien vu. À Paris fumer en terrasse, c’est un kiff que t’as pas à New York, ça me fait plaisir de pouvoir faire ça à Paris.

Les personnes que t’observes en terrasse ?

Les pigeons, les animaux de manière générale, les insectes, les fourmis. Il y a un côté voyeur et en même temps ça se fait. Alors que regarder les gens vivre, à un moment ils vont ressentir ton regard pesant et te demander pourquoi tu écoutes leur conversation ou pourquoi tu les regardes avec insistance, alors les animaux c’est sympa. Finalement j’ai toujours kiffé regarder mes voisins, sans entrer dans un délire voyeur, suivre la vie amoureuse de ses voisins… Avant les gens habitaient dans des villages, des petits endroits où il y avait pas de grands immeubles, et sans aller dans le ragot, c’était le truc : j’ai vu un tel, il est passé bourré ou autre. À Paris on n’a pas l’occasion de se rencontrer, c’est une grande ville. Il y a des gens qui habitent à côté de chez moi, que je croise jamais alors qu’on est presque voisins. Le voisinage, les gens qui habitent dans le même espace que toi, je trouve ça rassurant. De voir que tout le monde s’embrouille, baise, est bourré de temps en temps. À Paris contrairement à New York, les gens ouvrent les fenêtres l’été, parce qu’à New York il y a la clim. À New York, chacun vit dans son espace, avec que des bruits de ville, les voisins sont plus des gens que tu croises mais tu sais rien de leur intimité, et moi je trouve pas ça dérangeant d’entendre les gens vivre. On est quand même fait pour vivre en groupe.

Vu que tes deux arts phares sont la musique et le cinéma, est-ce que tu trouves qu’il y en a qui catalysent bien la ville ?

Pour moi il y a des morceaux un peu mythiques concernant Paris. Kenny, il avait fait un morceau sur Paris, et la BO de Ratatouille, il y avait un côté qui me touche. Moi j’écris pas sur ma ville et ce que je pense d’elle parce que c’est un thème vu et revu. Gaël Faye récemment a fait Paris métèque, avec une nouvelle façon de voir Paris, très poétique avec toute sa complexité, sa mixité, toute cette beauté du patchwork culturel. Après c’est plus des chansons sur Paris que des parisiens ou des mecs genre Renaud ou quoi, pas que je sois pas fan, j’aime bien l’artiste, mais j’ai pas un artiste qui m’évoque Paris comme ça, tout de suite.

 

A l’inverse je n’aime pas quand c’est trop parisien, dans le mauvais sens du terme. Le film parisien avec des acteurs qui se la pètent un peu, prennent tout le monde de haut, dans le cliché, et qui parfois par arrogance sont amenés comme l’esprit parisien. Pour moi, Paris c’est passer de Montmartre à la Goutte-d’Or, à d’autres endroits avec des ambiances différentes. Avoir l’impression de voyager en traversant quelques rues, avec des odeurs différentes, des restaurants traditionnels. Mais j’aime pas quand c’est séparé par le quartier indien, le quartier truc. J’aime bien quand tu passes devant un restaurant éthiopien et une pizzeria, et tu voyages olfactivement.

Un endroit ou une ville où tu rêverais de faire un concert ?

Pompeii, j’ai pas vu le live de Pink Floyd là-bas, ou le Machu Picchu. Un endroit un peu inaccessible, hyper préservé, où il faut respecter le lieu. Ce serait trop lourd parce qu’avec le décor t’as besoin de rien, tu rajoutes un peu de lumière et le décor est déjà incroyable. J’ai vu un spectacle de Flamenco à l’Alhambra et j’en garde un souvenir impérissable, c’était beau quoi ! C’est pas un lieu sacré, mais c’est un endroit où tu t’attends pas forcément à voir un concert. J’ai joué une fois dans l’amphithéâtre à Vienne et j’ai kiffé, j’aimerais bien jouer dans les arènes du Midi.

Tu te verrais prendre ta retraite où ?

Aux Cinque Terre, dans un endroit en Italie, proche de la nature avec un bon climat et la mer pas trop loin. C’est un peu la base quand tu vieillis, tu veux bien bouffer, que tes yeux soient heureux de ce que tu leur proposes. J’ai eu un gros crush pour l’Italie, j’ai vu des choses plus lointaines, mais pour vivre, ça me convient. Même si je pourrais pas décrire les habitants comme étant ultra sympas ou autre, parce que j’ai pas pu y passer assez de temps ni assez communiqué avec eux.

Un endroit incongru où t’as pu faire l’amour ?

L’opéra de Paris, et j’en suis pas peu fier. Celle qui était avec moi se reconnaîtra. Dans un lieu un peu mythique c’est pas mal, j’aimerais bien en haut de la tour Eiffel, sans forcément faire du base jumping à la fin.

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Texte : Hamza Bouhassoune