Le Juste Debout : la confrontation par les danses hip-hop

Juste Debout

Le Juste Debout est une compétition internationale de danse hip-hop qui a lieu chaque année et qui s’est déroulée, pour sa 11e édition, le 11 mars 2012 au palais omnisports de Paris-Bercy. Des sélections sont opérées dans plus de 15 pays différents mais la nationalité n’est pas une clef d’entrée, chacun pouvant se présenter dans des lieux de sélections différents afin de faire partie des 144 danseurs qui se confronteront lors de battles mettant en scène six danses différentes. On soulignera la domination française présente dans la compétition quand on s’intéresse à la nationalité des représentants de certains pays.

On répertorie la House, le Hip-Hop (new style), le Locking, Popping et deux nouveaux invités pour cette édition que sont l’Experimental et le Top-Rock, qu’on ne traitera pas aujourd’hui pour ne pas alourdir le propos. Il convient de présenter rapidement ces différentes danses et ce qui fait leur spécificité à travers le champ musical et technique.

Le Locking, « fermer-pointer », se reconnaît par une influence musicale funk/disco le rendant cousin musicalement avec le Popping. Il est né dans les années 70 et est initié par le danseur Don Campbell. Concernant la technique, on observe une souplesse des mouvements avec de nombreux « stop and go » (faire une pause et reprendre brusquement), il se danse beaucoup avec les poings (geste du poing fermé qui s’ouvre pour pointer par la suite comme Uncle Sam). Mais aussi le buste et il faut faire particulièrement attention à l’expression du visage du danseur qui permet de saisir toute l’expressivité qui s’en dégage.

Le Popping, tout comme le locking est influencé musicalement par la funk/disco, les deux danses naissent dans les années 70 mais on attribue ici l’émergence de celle-ci au groupe Californien Electric Bangaloos, plus médiatisé. L’alliage de cette danse se retrouve dans les mouvements de contraction-décontraction des muscles sur le rythme musical qu’on peut compléter par l’effet robot bien connu et enfin l’effet d’angle qui consiste à effectuer un mouvement dans un angle bien précis pour en améliorer l’effet esthétique (comme le tétris, mouvement à angle droit). Un des mouvements phare qu’on a presque tous vu et celui de la « wave » (vague avec les bras).

La House, comme vous vous en doutez, s’inspire de sa propre musicalité : la house music. Danse popularisée sur la côte Est des Etats-Unis dans les clubs prestigieux notamment à Chicago vers la fin des années 70, début des années 80, se développe par la suite à New York dans les années 90 pour enfin s’exporter par la suite, notamment dans les boites parisiennes et londoniennes. Si comme les autres danses il existe de nombreux styles, les caractères principaux que je retiens et qui font selon moi la spécificité de cette danse sont le footwork (mouvement des pieds) et le jacking qu’on peut apparenter au mouvement sur ressort qu’effectue votre petit clown dans sa jolie boite. Autant dire que si vous avez une mauvaise coordination des jambes et des pieds cette danse ne sera pas pour vous.

Le Hip-Hop (new style), est surement la danse qui apparaît comme la plus connue car c’est une sorte de fourre tout dans la mesure où il y a une combinaison de mouvements (classique, moderne-Jazz, danse africaine…) et de musiques (rap, rn’b, electro…) tellement variés, qui procure une richesse qu’on a du mal à définir. Cependant on différencie au Juste Debout le New Style, du Breakdance (style un peu plus ancien du début des années 70) qui s’effectue avec des phases plus gymnastiques et acrobatiques aux sols qu’on combine généralement avec des Top Rocks (mouvement de transition entre différentes figures qu’on réalise debout et qui font l’essence même du danseur, son style). Ce qui fait la spécificité du New Style est la musique qui s’appuie sur des sons plus percutants qui vont venir puiser dans la vitalité du danseur et mettre à l’épreuve son dynamisme et son esprit de retranscription musicale. Ayant très peu de contraintes techniques cette danse se voit être la plus spectaculaire dans la mesure où on est la plupart du temps dans une optique de show qui permet une ouverture plus facile et plus agréable au grand public. La musique conditionne la cohérence gestuelle limitant des combinaisons hasardeuses de style de danse.

Ce qui réunit avant tout ces quatre danses est la structure de la confrontation, modèle propre au Hip-Hop, le battle. La forme du battle correspond à la philosophie de Afrika Bambaataa (pionnier de la culture hip-hop) : transformer les énergies négatives en énergies positives à travers l’expression artistique. Il n’est pas dur de sentir dans les battles la tension ambiante entre les danseurs, l’animosité de la confrontation qui se traduit aussi par des provocations par l’expression du corps ou du visage parfois (d’ailleurs certains battles finissent par de véritables batailles physiques entre équipes). L’artiste bouge sur une danse qui lui convient pour exprimer sa vitalité, sa force, sa domination par la technique et retranscrire la musicalité ou en tout cas en jouer. Le meilleur des deux candidats, duo ou crew gagne. On est dans une logique compétitive, dans le cas du juste debout, c’est un jury qui tranche (composé d’anciens danseurs experts de chacune des danses).

Au delà de la forme compétitive du battle qui est peut être apparentée à une véritable logique de confrontation qu’on retrouve dans d’autres formes expressives du hip hop (rap, beatmaker contest, Battle of the year…) et qui caractérise bien cette culture, on retrouve un socle commun dans la performance nous permettant quelques éléments de comparaisons avec la danse contemporaine. En danse contemporaine comme en hip hop, la performance vise à rompre les normes traditionnelles dites classiques et donne une plus grande place à l’individualité du danseur qui se saisit du réel, de l’espace et de l’instant (T). Le danseur est son propre chorégraphe, possédant son style, ses mouvements et les interprétant d’une manière différente à chaque fois, c’est-à-dire qu’on ne peut pas voir le même spectacle deux fois. Certes il y a une préparation, une certaine structure semblable mais le lieu, le moment et la musique aléatoire conditionnent à chaque fois une danse du « ici et maintenant ». La performance se vit dans un contexte et à vocation de se vivre avec le public tout en dialoguant dans l’affrontement avec l’adversaire. La scène témoigne de la promiscuité et de la place essentielle qu’on accorde à cette communion. Et le danseur est là avant tout pour partager et susciter des réactions, des applaudissements, certains en jouent d’ailleurs très bien avec le public. A noter que ce même public est en général composé de nombreux danseurs amateurs ou professionnels et que de fait le jeu entre l’espace profane et l’espace sacré n’en est que plus important.

Enfin, le dernier point important est l’expression d’une réalité concrète, la mise en image du son, de la musique, qui donne toute son importance à la danse. Un show réussi selon moi est celui qui vous donne l’impression que la musique danse à travers l’artiste naturellement et instinctivement effaçant alors les heures de préparation et l’expérience du danseur. Ce qui fait le succès de cette danse est que chaque âme humaine est capable d’abandonner son être à la musique et d’en ressentir les secousses et les envies de retranscription qui émanent de nos muscles.

Une vidéo que j’affectionne particulièrement et qui vaut vraiment le détour :


Bilal Djelassi