L’interview « Paye ta Ville » avec Tricky  

Tricky

Pionnier du trip-hop originaire de Bristol et ancien membre du groupe Massive Attack, Tricky nous parle de Berlin, de la nourriture jamaïcaine à Bristol et des hivers parisiens.

L’interview originale en anglais est disponible ici

T’habites où ? Berlin.

T’y habites depuis combien de temps ? Depuis 2 ans maintenant.

Ton premier souvenir marquant dans la ville où tu habites ? C’est une grande ville mais très relax, très calme. Il reste pas mal d’endroits vides, sans magasins partout. Généralement, il y fait très sombre car il y a peu de lumières venant des vitrines des magasins et on ne voit pas des panneaux publicitaires partout. Quand je suis allé à Berlin pour la première fois, je n’ai pas aimé : certaines zones semblent être désertes, isolées, presque industrielles. J’étais dans un hôtel, un hôtel sympa, mais dans une partie de la ville qui est très industrielle et où pas grand chose se passe. Après y être allé plusieurs fois, j’ai commencé à connaître la ville et à découvrir ces grands espaces et ses arbres. Comme un parc. Une ville à l’intérieur d’un parc. C’est très vert.

Est-ce que tu trouves que cette ville a changé ? Apparemment. Quand je parle avec des gens qui sont là depuis 20 ans, ils disent que ça a beaucoup changé. Mais je ne peux pas savoir, je n’y étais pas.

Où est-ce que tu vas pour te poser, être seul tout ? Eh bien, je suis seul de toute façon, donc je peux me sentir seul n’importe où.

La ville où tu es né ? Bristol, une ville à l’ouest de l’Angleterre.

Qu’est-ce que tu regrettes de cette ville ? La nourriture. Mon père est Jamaïcain et la culture jamaïcaine est partout là-bas. Il y a donc beaucoup de nourriture jamaïcaine. Ça me manque d’aller en chercher. À Bristol, il y a tellement d’endroits où tu peux en prendre que t’as pas besoin d’aller loin, c’est facile. Pas comme à Berlin. Bristol est une belle ville. C’est aussi un ancien port d’esclaves où l’on peut toujours voir des noms de rues comme « White Ladies Road » ou « Black Boy Hill ». Il y a aussi une salle de concert qui s’appelle Colston Hall. C’était le nom d’un gars qui construisait des bateaux d’esclaves. La ville est donc encore marquée par son histoire négrière. C’est très intéressant de voir ça. On peut toujours le sentir.

Une expression de ta ville que tu aimes bien ? Y’en a deux. À Bristol, il y a le slang jamaïcain et le white slang. En white slang, si un gars est mon pote, je vais dire : « this guy is my mucker ». Le verbe « muck » veut dire creuser, donc l’idée c’est que je creuse un fossé – que je creuse mon trou dirait-on en francais -, et que mon pote m’aide. Donc qu’il est mon mucker. En jamaïcain on dira « wasgoanin? » Au lieu de « what’s going on ? »

La ville où t’aimerais habiter ? Une ville d’un pays d’Asie. Pékin par exemple. Pas Hong-Kong, c’est trop bondé.  

Les bruits de la ville qui t’ont influencé dans tes productions ? L’Angleterre a connu une forte importation jamaïcaine, surtout vers Bristol. Tous les Jamaïcains ont bougé là-bas pour le travail dans les années 60. Du coup, une des plus grosses influences musicales est le reggae. Après, Bristol est une ville plutôt calme. Par exemple si je suis à Londres et que je rentre à Bristol, je peux pas m’empêcher de remarquer à quel point la ville est calme. Pas tous les quartiers, mais la plupart d’entre eux.

Ta ville idéale ? Je ne pense pas qu’une ville idéale existe. Je ne peux pas penser à ça. Je ne fonctionne pas ainsi.

Ta ville cauchemar ? Une ville en Autriche où je suis allé. L’Autriche est un super pays mais dans cette ville les gens sont horriblement racistes. Racistes en mode hardcore. Impossible de me souvenir de son nom par contre.

Ce qui t’apaise en ville ? Je suis une personne plutôt calme donc je peux supporter Hong-Kong qui est une ville dingue, où t’as l’impression à chaque instant d’être dans un film, avec des millions et des millions de personnes. Je ne pourrais pas y vivre, mais je parviens à m’y sentir toujours calme.

Ce qui t’énerve en ville ? Les gens malpolis et ceux qui ont des grandes gueules.

Ville de jour ou ville de nuit ? J’aime les deux, mais j’aime surtout l’été. Les températures chaudes. Donc en été, j’aime la ville de jour comme de nuit. Je marche le jour et la nuit. En hiver je dirais plutôt le jour. Ça peut être sacrément chiant de marcher la nuit quand il fait froid.  

Le lieu urbain où tu voudrais tourner un clip ? Hong-Kong ou Tokyo. Les deux endroits sont incroyables. T’as qu’à filmer la ville pour que ton clip rende bien.  

La petite habitude que tu as quand tu es dans ta ville ? Marcher. Je marche tous les jours.

Et dans une ville étrangère ? La même chose. Marcher. Dès que j’arrive quelque part, je sors me balader et regarder ce qui m’entoure.

Le type de personnes que tu aimes observer à une terrasse de café ? Toutes sortes de personnes. Personne en particulier, mais je peux regarder les gens pendant des heures, ce qui revient à regarder la ville.

La ville où prendre ta retraite ? J’y suis jamais allé mais quand je pense à des trucs comme ça je pense au au Vietnam. Je sais pas si c’est bien mais j’ai un truc en tête. Ça a l’air vraiment très beau.  

La ville où marcher la nuit ? Je dirais Tokyo.

Une musique sur la ville ? Y’a rien qui me vient.  

Un film sur la ville ? Blade Runner, qui a été influencé par Tokyo. Mais pas le nouveau, l’ancien.

Ta ville rêvée pour jouer un concert ? Vous savez, j’ai joué partout dans le monde mais j’adorerais en faire un en Palestine.

Si tu devais améliorer quelque chose dans la ville dans laquelle tu vis, ça serait quoi ? C’est la même chose dans toutes les villes : d’un côté t’as les pauvres, de l’autre t’as les riches. J’ai grandi dans un ghetto de Bristol. Les pauvres ont toujours à souffrir. C’est la même chose à Paris : les pauvres sont dans des ghettos, sans opportunités d’emplois, avec de moins bonnes écoles… Je changerais la répartition de l’argent, l’accès à l’éducation, donner plus de chances et d’opportunités aux gens.

Si tu devais remplacer un monument d’une ville par quelque chose ce serait lequel ? Par quoi ? Je ne vais jamais voir les monuments. Je préfère marcher. Voir le Louvre pour moi par exemple ne m’intéresse pas, je préfère marcher rue de La Chapelle et prendre un café. J’avais l’habitude de m’asseoir à un café à La Chapelle et regarder les gens passer. Des gens de toutes les origines : Arabes, Africains, etc. C’est plus intéressant que le Louvre ou que n’importe quel autre monument.


Propos recueillis par Fiona Forte

 

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