Portrait | Sergio MC : l’Avenue des Anges passe par Les Ulis

Sergio Couv
Sergio débute le rap en 1997 aux Ulis (91) alors qu’il n’est encore qu’en primaire, trois ans après avoir quitté Kinshasa. À 10 ans, il commence le rap aux côtés de son grand-frère Mak. C’est en solo et plus mature qu’il devient Sergio MC avant de sortir à 22 ans son premier album : Les Murs du Son. 2017 : lunettes de soleil et t-shirt noir quand il n’est pas dans ses habits de footballeur amateur ou d’employé de banque, Sergio MC reste convaincu que le rap doit être une musique d’impact. Son nouvel album Avenue des Anges sortira à l’automne.
En primaire, les premiers pas dans le rap avec les grands du quartier  

« On était dans la même école et tu rappais déjà ! » se souvient avec un sourire Mady, un ami que Sergio a connu aux Ulis.

En 1997, alors qu’il n’a que dix ans, Sergio griffonne des pages et commence à rapper avec son grand frère Mak aka BiS L’Artiste, au contact duquel il découvre Nas, Mos Def ou encore Oxmo Puccino. « Ça s’est fait assez naturellement, je traînais avec mon frère et les grands du quartier. On allait rapper tous les mercredis après-midi au Radazik. C’était un kiff. »

Né dans une famille où le gospel et la rumba congolaise résonnent, c’est d’abord à travers la danse que Sergio approche la musique. L’école lui fait ensuite aimer le texte et l’écriture à une période où le rap en France se démocratise. C’est la combinaison de ces trois facteurs qui l’a fait plonger dans le rap.

Son grand-frère remarque vite que Sergio a du talent : « C’était rare de voir des jeunes écrire comme ça à son âge. Pour moi il avait vraiment un don, surtout pour les refrains. Le rap, c’est inné chez lui ! Même mes potes kiffaient ! C’est comme ça qu’avec six ans d’écart, on a commencé à enregistrer ensemble. »

« C’était juste avant Wanadoo, entre Windows 95 et Windows 98 »

« Moi je rappais, y’avait pas le haut débit. C’était juste avant Wanadoo, entre Windows 95 et Windows 98. Tu vois ce que je veux dire ? »

À l’époque, Sergio et les autres jeunes rappeurs des Ulis écrivent dans leurs chambres ou chez les copains, et répètent sur des magnétophones ou des lecteurs CDs. En 1997, IAM sort L’école du micro d’argent. NTM et Arsenik sortent Suprême NTM et Quelques gouttes suffisent… en 1998. On s’entraîne sur les faces B de Nas, Mos Def ou du Wu-Tang avant d’aller enregistrer au studio de Fabien, le frère du parrain de Sergio.

« C’était rare de trouver un studio, se souvient Sergio. C’était un peu comme le graal et puis fallait prendre son temps avant d’arriver à un projet. Depuis y’a eu une transition, notamment avec la popularisation du rap. Aujourd’hui c’est plus simple : tu prends une instru, tu vas dans un studio, t’enregistres ton morceau, tu le mets sur YouTube et ça y est t’es rappeur. Tu peux même te le monter à la maison ton studio si tu veux ! »

Aux Ulis, le partage en héritage

Durant les séances de répétition, Sergio côtoie les autres jeunes rappeurs des environs et des plus aguerris comme Sinik ou les membres d’Ulteam’ Atom (Grodash, Fik’s & P.Kaer, etc). « C’était l’échange qui primait, on allait voir les potes pas tant pour rapper que pour partager quelque chose. J’étais jeune et je m’en rendais pas encore compte mais y’avait un esprit hip-hop avec des valeurs fortes de partage, de dépassement de soi et de compétition positive. Je baignais dans ce truc pendant que mes potes faisaient du foot. »

Dans les années 90, la ville des Ulis n’a pas forcément bonne réputation et pourtant ce dont Sergio se rappelle ce sont les échanges. « Pas besoin de pare balles c’est des ballons qu’on nique » rappe-t-il dans son morceau Sergiologie.

« Il y avait une vraie connexion entre les personnes et les générations. Les parents se connaissent entre eux tout comme les enfants. Moi, j’ai passé mon adolescence avec mes trois grands  frères qui ont entre deux et huit ans de plus que moi et je jouais au foot aussi bien avec des gens de mon âge qu’avec mes frères et leurs potes. Les Ulissiens aiment leur ville et se transmettent ses valeurs de partage. »

 

« Milieu des nineties de Montereau Aux Ulis, le bitume, la banlieue, j’suis bledard c’est pas triste/
J’te donne des indices de l’époque, Melting-pot, t’es mon pote beur ou blanc  je ressens pas le racisme/
Jeunesse qui réussit quand tu dors, j’suis Seiya Ou Bandian ballon d’or bien avant Leo Messi »
Extrait du morceau Sergiologie de l’album Avenue des Anges qui sortira à l’automne 2017

 

Des Maisons Pour Tous à la première partie d’Oxmo

Les deux frérots se produisent aux fêtes de quartier, aux côtés des groupes Dza Barsa ou Analogie, ainsi qu’aux Maisons Pour Tous de Courdimanche et des Amonts. Ensemble, ils font la première partie d’Oxmo Puccino aux Ulis.

Autre souvenir de poids, en décembre 1999, Sergio et son frère se retrouvent à Supélec : « À 30 ans, ça reste mon meilleur souvenir de scène. T’as 12 ans, tu suis ton frangin et tu te retrouves devant 500 personnes sans aucune gêne. C’était très spontané, que du plaisir. Aujourd’hui, je calculerais plus je pense. Big up à Patrick Aubert qui avait pensé à nous. »

Sergio et frère

Sergio MC et son grand frère, BiS L’Artiste

Dégaine ton sens  

Sergio a maintenant 14 ans. En cours, il a de très bons résultats mais en dehors il peut être turbulent, quelques fois bagarreur. Au Radazik débute Dégaine ton style, un affrontement de clash dont sortiront gagnants Grodash, Scar Logan et Sinik. L’événement met la lumière sur la ville et la fait reconnaître à l’extérieur comme « une pépinière de talents ». La ville sans gare arbore les couleurs de son flow et de ses expressions tandis que Mady et Sergio font partie des « crieurs » de la foule. La salle de 150 personnes, fermée en novembre 2015, craque sous les cris du public. Les trois éditions de l’événement restent gravées dans la mémoire des Ulis et de ses habitants.

Sergio, lui, développe l’art du texte et du sens, tout en restant fidèle à ses influences rap new-yorkaises. Son rap se construit à travers son histoire, sa personnalité et la recherche de solutions aux problèmes de ce monde.

« Le rap est une musique d’impact »

« Mon rap a été influencé par des rappeurs qui privilégiaient le fond et la technique pour donner du sens à leurs textes. Pour moi le rap est automatiquement engagé. C’est une musique d’impact, un haut-parleur. « Je suis la voix des sans voix » disait Aimé Césaire… Je pense que le rap doit servir à ça, être un outil. Tu vois aujourd’hui à 30 balais je rappe encore parce que j’ai envie de dire des choses que je ne peux pas forcément dire au boulot. »

Sergio est un observateur de son temps au regard aiguisé qui ne rechigne pas aux longs débats sans fin autour de sa passion. Alioune Fall, son ami de lycée qui a produit huit instrus sur onze de son premier album Les Murs du Son décrit sa musique comme du « rap conscient : pas engagé, ni politiquement, ni dans l’activisme ou quoi que ce soit, mais un rap de constat, de quelqu’un de conscient qui décrit la situation de sa communauté, en France ou en Afrique. Il rappe sa vie. »

Ses textes sont là pour que les convergences surpassent les divisions. Avec ses puzzles de mots et de pensées, il rassemble et témoigne des fractures de ce monde, des discours clivants des politiques, de ses espoirs et de ceux qui croisent sa route.

Sergio ne dénonce pas. Il dit et raconte à partir de sa sensibilité et de son histoire, toujours avec une approche humaniste mettant au coeur du monde les individus. Il décortique les slogans tout fait, les fausses réalités qu’on nous fait ingurgiter pour créer la méfiance et la peur, les discours qui entaillent le vivre-ensemble.  

Le projet StrateZik Action

Sergio promène son rap le long du chemin. Après les années fraternelles et une petite pause au début des années 2000, il retourne à la scène en solo ou aux côtés de Dyts avec lequel il forme le groupe Impakt des Ulis. C’est à cette période que Mady, Ahmadou et lui lancent l’association StrateZik Action pour pouvoir avoir une salle de répét de danse. Ils se rendent rapidement compte que non seulement les jeunes ont besoin de lieux où se retrouver mais aussi d’espaces de partage et d’apprentissage autour de la musique et de l’art.

Des ateliers d’écriture sont organisés pour aider les plus jeunes à débuter dans le rap. L’un d’eux se déroule à Bruxelles durant une semaine d’échanges autour du thème des cultures urbaines, avec au bout, une première partie du concert de Busta Flex.

Parmi les gamins de la ville nouvelle débarqués dans la capitale belge, le petit Moussa surnommé Mouskoff.

« Il rêvait peut-être d’être Russe. Tu vois aux Ulis, tout le monde a un surnom, mais parfois on sait plus d’où il est sorti… Mouskoff ! Lui il m’a marqué ; il était très fort. S’il rappait encore aujourd’hui, ce serait le meilleur rappeur des Ulis, c’est sûr. »

Stratezik Action continue encore aujourd’hui et a récemment contribué au développement du studio municipal de la ville des Ulis, en compagnie d’Arafo.

Les cinq doigts de la main

Sergio trace sa route mais n’oublie pas d’où il vient. Ses cinq univers l’accompagnent dans ses pas entre les tours blanches des Ulis : foot, rap, banque, famille et potes. « Un peu comme les cinq doigts de la main ; quand je les ferme ils font un poing et c’est ça ma force. »

Il a de la chance, il a toujours été accompagné : initié au rap par son frère, il salue Mighty qui leur a écrit le refrain de La Mort Frappe, les mecs de Chantereine et de La Parisienne mais aussi ses influences Secteur Ä, Time Bomb, la Cliqua, Mafia Trece et « cet enfoiré de Nas ».

Son parcours est semé d’anges : ses grands parents maternels et son oncle qui ont veillé sur lui et ses trois frères au Congo avant de rejoindre leurs parents et leurs soeurs en France, ses Ulissiens de coeur, les mecs du Barceleau, et surtout sa femme et son enfant né début août, comme un symbole, dix ans après le décès de son père, à qui il avait dédié le premier album.

L’avenue des anges existe bel et bien et elle passe par Les Ulis

Sur la pochette de son prochain album prévu pour automne 2017, on verra un petit Sergio en noir et blanc à l’époque du Congo. « Une photo de moi quand j’étais un ange…  »

« Je ne peux évoquer que les anges dans ma musique. À la base l’album devait s’appeler Temps Limites parce que j’écrivais beaucoup sur la mort. À 12 ans par exemple, on a fait La Mort Frappe avec mon grand-frère au moment du décès de mes grands-parents. Finalement je me suis rendu compte que toutes ces personnes que j’avais perdues étaient des anges qui m’accompagnaient et que le thème de la mort partait surtout de mon approche spirituelle du rap en plus de celle d’observateur.

L’album Avenue des Anges a été travaillé depuis un bout de temps avec le coeur et la tête comme son premier album Les Murs du Son sorti en 2015. Chaque titre a ses sens que l’on se doit de décrypter. « Dans mes morceaux, j’ai toujours une approche double : une approche égotrip freestyle et une approche thématique et constructive. Quand j’écris un morceau comme Africain ça fait certes référence à mon parcours du Congo aux Ulis mais surtout à la situation économique et sociale de ses habitants. Les anges, ce sont les personnes qui m’ont béni sur mon parcours mais aussi les humains de manière générale. Les anges volent ne sentent plus leurs ailes… Avec ce nouvel album, je me situe entre le marteau et l’enclume ; j’évoque la génération de mon père et celle de mon fils, à venir. »

L’avenue des anges existe bel et bien et elle passe par Les Ulis. Sergio se rappelle de l’avoir traversée au milieu des sourires de ceux qui ont comptés.

« Moi ce qui m’intéresse c’est de voir les mondes et de poser des questions »

« Quand on regarde mes titres, on pourrait se dire : mais il rappe dans les décombres ce Monsieur ! C’est vrai qu’entre Rap in Peace, Nature Morte et Temps Limites, on pourrait trouver mon rap très sombre. Et pourtant dans la vie je suis quelqu’un de très souriant et vivant. Il y a un contraste avec mes textes qui me permettent de trouver un équilibre. »

« Si j’ai envie de danser et d’être joyeux j’écoute pas du rap, je mets un morceau de Wizkid ou du Férré Gola. »

Du pessimisme sur la Face A, on entre là sans avoir vu de la lumière. L’existence est glauque et bourrée de paradoxes. Il fallait en parler pour voir les mondes.

Sergio navigue entre ses origines africaines et sa vie aux Ulis, entre la mort qui nous entoure et la société qui évolue, mais toujours avec l’espoir de trouver des solutions : « je cherche pas de couronne mais plutôt le sérum pour un monde débile. »

« Le plus important c’était d’écrire… »

L’album Avenue des Anges sera peut-être le dernier, « avant de passer à autre chose… un recueil de textes de rap peut-être, pourquoi pas du zouk, ça sonne pas mal Sergio Love (rires) ».

« Le rap ça n’a jamais été ma vie, toujours un accompagnateur. J’ai jamais été cherché les vues sur mes clips, le plus important c’était d’écrire… »

Heureux qui, comme Sergio, a fait un bel ouvrage.


Texte et photo de couverture : Fiona Forte