L’Interview « Paye ta Ville » avec Jean Barisien

Jean Barisien
Entre Rising Cloud Orchestra, Grand 8, Nahima et Hi Dive, Jean Barisien touche à une multitude de styles musicaux, de la minimale, en passant par le jazz et le rock. Fan d’improvisation, on l’a rencontré pendant sa résidence au 104 au cours de laquelle il compose de la musique pour plusieurs troupes de théâtre : Full Petal machine et sa pièce Protocole V.A.L.E.N.T.I.N.A, le Théâtre de la Suspension pour le spectacle Four Corners Of A Square With Its Center Lost, et enfin Trium Virus de Nina Villanova. Il fait également parti de Pschit , organisateur d’événements musicaux alternatifs à Paris, qui lance la première édition de son festival le 23 Septembre à Main-d’œuvre, avec notamment Saboten, Moonsters, mais aussi un ciné concert de Grand 8 et Pabloïd.

T’habites où ? À Saint Ouen.

T’y es depuis combien de temps ? Depuis un an.

T’es née dans quelle ville ? À Paris 18ème

Ton premier souvenir marquant dans ta ville ? La découverte de Saint-Ouen le week-end : les puces changent totalement l’ambiance et le décor de la ville. C’est une ville où il y a surtout des rideaux de fer et des tags, ce qui m’a attiré en premier lieu là-bas, mais tout à coup, avec les puces, tout brille ! Les esthétiques se valent mais le contraste est vraiment saisissant.

Une allée des puces de Saint Ouen

Est-ce que tu trouves que cette ville a changé ? Ça change beaucoup, même de mois en mois – les habitants changent, j’ai le sentiment d’avoir dû quitter le 18ème parce que c’était trop cher, de devoir passer de l’autre côté du périph. C’est violent de devoir se déplacer d’un endroit où on a toujours habité, mais surtout d’être conscient qu’en se déplaçant, on prend aussi la place d’autres gens (qui ont dû se déplacer encore plus loin).

Où est-ce que tu vas pour te poser ? La Cave Café dans le 18ème, c’est entre le café et le pub, ils servent du cidre anglais, et on peut y travailler. Sinon à Marx Dormoy, il y a La Vieille Pie. Le café est au bord du pont bleu. C’est un paysage assez ambigu, on peut s’imaginer être en bord de la mer – on ne voit pas les rails qui se trouvent derrière le pont – alors qu’on est en plein espace urbain.

Une expression de ta ville que tu aimes bien ? « c’est frais » – Je le dis tout le temps mais ça craint. Sinon, bien sûr, « bah bravo morray » (rires).

La ville où t’aimerais habiter ? Franchement Paris. Si c’était pas Paris, ça serait plus tard à Florence ou à Amsterdam mais pas maintenant. C’est beau, et j’aime le fait que les immeubles soient bas, mais c’est un rythme de vie que j’aimerais avoir à cinquante ans, pas maintenant.

Des bruits de la ville qui t’ont influencé dans tes productions ? Le métro qui s’arrête, les machines de chantier. Je travaille avec des sons anecdotiques assez bruts et très chargés harmoniquement, des sons qui se rapprochent du bruit blanc. Ça me parle plus que les oiseaux dans les arbres et les pigeons. En face de chez ma mère, il y avait un hôpital qui a été détruit et reconstruit – ça a duré cinq ans en tout. Parfois, je coupais la radio juste pour écouter les travaux, je trouvais que c’était plus inspirant.

Comment s’appellerait ta ville imaginaire et à quoi est-ce qu’elle ressemblerait ? Elle s’appellerait Pschit City, elle aurait des immeubles à trois étages maximum, son relief serait très accidenté. Elle n’aurait pas de hauts parleurs dans la rue, mais une très forte agitation s’en dégagerait, et on pourrait s’échapper de celle-ci grâce à des points d’eau et des espaces verts en plein coeur de la ville. Il y aurait partout des salles de concerts en sous-sol, pas de limiteurs mais des distributeurs de boules Quies à tous les coins de rue. Dernière caractéristique, elle ne serait pas en état d’urgence et il n’y aurait pas de supermarché.

Ta ville cauchemar ? C’est Paris dans certains aspects – enfin plutôt dans 20 ans ! J’aime pas les villes normatives et j’ai la phobie des afterworks ! (rires) Par contre, architecturalement rien ne me dérange, les gros immeubles en béton je peux trouver ça cool. En fait, elle serait cauchemardesque dans la manière de vivre, je pense que tu peux t’éclater n’importe où du moment que l’activité des gens n’est pas formatée, que les gens posent pas trop de barrières à la rencontre.

Ce qui t’apaise en ville ? Le vent et les courants d’air. Sinon, un café au comptoir, ça me remet toujours les idées en place.

Ce qui t’énerve en ville ? Les supermarchés ! La méfiance des gens, leur difficulté à sortir de leur bulle, et l’impression qu’entrer en interaction avec les autres est toujours synonyme de dérangement : parfois tu croises quelqu’un sur un passage piéton et tu retrouves dans un rapport de force pour savoir qui va passer où. Dans les petites villes j’ai pas l’impression que ça existe autant. Les afterworks aussi, ça m’énerve, les gens qui s’enjaillent parce que c’est le moment, c’est trop calibré !

Le lieu urbain où tu voudrais tourner un clip ? Un théâtre qui s’appelle le théâtre du Nord Ouest, tout est noir, et t’es obligé de t’adapter à l’espace, qui est en paliers.

La petite habitude que tu as quand tu es dans ta ville ? Le café au comptoir, c’est mes pauses.

Et dans une ville étrangère ? Pareil.

Le type de personnes que tu aimes observer à une terrasse de café ? J’aime bien les gens seuls, j’aime bien regarder les gens qui regardent les gens et les gens seuls qui auraient aucun problème à entamer une discussion avec ceux qui les entourent. Du coup, je ne bois pas souvent de café en terrasse, je préfère les comptoirs : c’est une mini-société. Comme tu ne peux rien faire au comptoir, très vite tu te mets à parler avec les gens qui sont à côté de toi, et c’est souvent des gens assez âgés qui ont de fortes personnalités et des trucs de ouf à te raconter. Finalement, je me retrouve observateur et je les écoute raconter leurs histoires. Aussi, j’aime bien regarder les serveurs parce que c’est souvent des comédiens et j’aime bien être entouré de comédiens.

Plutôt multitude ou solitude ville ? Plutôt solitude, j’aime pas trop me déplacer en groupe – typiquement l’effet fête de la musique, je déteste ! Mais à deux c’est vraiment parfait, je fais souvent des balades juste à deux, mais au-delà de deux, je préfère être tout seul.

La ville où prendre sa retraite ? Florence.

Le Ponte Vecchio, à Florence

Une ville ou un quartier où marcher la nuit ? Amsterdam. Dès que tu arrives à t’échapper de la cohue des coffee shops à touristes, tu n’as plus que la lumière des réverbères qui se reflète dans les canaux, et celle des soirées chez les gens – les parois des immeubles sont en verre – que tu peux apercevoir de l’extérieur. Il y a aussi beaucoup d’immeubles en brique noire, et quand il a plu, ça luit dans la nuit, c’est super beau.

Une musique sur la ville ? Un album de Willis Earl Beal qui s’appelle Nobody Knows. Ou alors le dernier album : le dernier album de Gil Scott Heron – I’m New Here.


Un film sur la ville ? Metropolis.

Un livre sur la ville ? Taipei, de Tao Lin.

Ta ville rêvée pour jouer un concert ? Londres.

Ton endroit dans le monde préféré pour voir un live de musique ? Un plateau dans les Cévennes.

La ville que tu préfères pour acheter des records ? Londres, à nouveau.

Une question que tu aurais aimé qu’on te pose au sujet de la ville ? J’aimerais bien qu’on me demande comment je pourrais investir la ville, et qu’on fasse appel à moi pour investir la ville. J’aimerais bien qu’on me la pose plus cette question !


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