Guadeloupe : Darboussier, de l’habitation sucrière au Mémorial ACTe

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Le très branché New-york times l’évoquait dans ses “52 Places to Go in 2016”, une sorte de guide des prochaines destinations à la mode cette année. La Macte était en juillet 2015 inaugurée par Francois Hollande sur le site de Darboussier. Le Centre caraibéen d’expression de la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage est le plus ambitieux centre dédié à la mémoire de l’esclavage dans le monde. Depuis sa construction le site Darboussier est un haut lieu de l’histoire de la Guadeloupe, puisque le poumon économique de l’époque fut aussi un symbole de l’héritage de l’esclavage.

Darbousier (ex)poumon économique d’une économie Pigmentocratique

La Macte a été construite à Pointe à Pitre dans le quartier de carénage sur le site de Darboussier.

La Macte a été construite à Pointe à Pitre dans le quartier de carénage sur le site de Darboussier

Celui si tient son nom de Jean d’Arbousier, propriétaire du site au XVIIIème siècle qui fit fortune comme marchand et négociant. A l’origine le site Darboussier abritait une « habitation-sucrerie ». Cette dénomination désigne un ensemble de petites habitations autonomes de production où cohabitait maîtres et esclavages et qui pratiquait l’échange. C’est la vente à Jean-François Cail et Ernest Souques (deux puissants industriels du second Empire) qui donnera naissance à la centrale sucrière Darboussier. Inaugurée en 1869, la centrale entraîne le développement de toute une partie de la capitale. L’usine rythme pendant longtemps la vie sociale de toute la Guadeloupe. Avec près de 700 travailleurs, Darboussier faisait office un véritable pôle industriel. Daniel M enfant à la fermeture de l’usine et qui l’a vu disparaître se souvient : « On y proposait un bon salaire, c’était bien vu d’y travailler ». Mais d’un autre coté l’usine entretenait une forme d’esclavage, au moins dans les  esprits. Elle a perpétué un système qui à bien des égards maintenait la matrice de l’exploitation et de la discrimination.

Infirmeries, commerces, logements et piscines, ce confort apparent était au service d’un paternalisme puissant dont l’objectif  était de maintenir la main d’oeuvre docile. La discrimination y était institutionnalisée : les cadres étaient blancs, le personnel de maîtrise antillais et le reste des travailleurs ouvriers souvent des « engagés » pour les tâches les plus ardues.

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Les tamouls (jusqu’à 70% du personnel) ont représenté le gros de ces travailleurs, mais  dès 1853, chinois, japonais, « nèg’ Kongo » et opposants indochinois sont soumis au travail forcé et envoyés en Guadeloupe pour accroître la  production sucrière. De cette façon, la pression était également maintenue sur les salaires. Durant les années 1930, suivront les palestiniens et les syro-libanais. En dépit de  cette exploitation et de la discrimination, un dicton demeurait : “mieux vaut Darboussier que l’esclavage”. Mais malgré la main d’oeuvre bon marché et les levées de capitaux pour les investissements de modernisation, l’usine était déjà fragilisée car le coût de la main d’oeuvre française restait très nettement supérieur à celui de ses nouveaux concurrents cubain, porto-ricain et javanais qui inondaient le marché avec leurs productions. Surtout que même le marché national ne leur était plus réservé pour écouler un sucre désormais trop cher.

En 1860, c’est la débandade. La métropole se met à produire son propre sucre (de betterave) et surtout décide de mettre fin à « l’exclusif colonial », une convention qui réservait à la métropole le sucre des colonies assurant ainsi à la France son approvisionnement en sucre. Avec la crise, les salaires ne sont plus suffisamment attrayants pour acheter la paix sociale et taire l’ignominie d’un système aussi inégalitaire que pigmentocratique .

A la crise sucrière de 1902 suivront de nombreux de conflits sociaux (parfois sanglants) entre syndicats, ouvriers agricoles patronat qui marqueront l’histoire de la Guadeloupe. L’usine sera rachetée une dernière fois avant de fermer définitivement en 1980. Laissée à l’abandon depuis, le site de l’usine était devenu une sorte de bidonville « quartier rouge » réputé pour la chaleur de “ses” filles  Dominicaines avant que le projet de Mémorial ne lui donne une nouvelle vie. La Macte, construite a l’entrée du port sur les friches de l’ancienne usine officie désormais pour ses architectes comme « phare de ville, de par son rayonnement culturel et intellectuel ».

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Aujourd’hui  allégorie sublimé par la technique

La Macte s’impose visuellement. C’est  est une grande boîte noire en quartz posée sur deux blocs distincts. Le premier bloc contient une salle de congrès et un restaurant, le second renferme le musée ainsi qu’un espace d’exposition temporaire. A l’étage un  pont réunit les deux blocs. Il  conduit, vers le Morne Mémoire sur lequel est situé face à la mer la table d’orientation de Marcos Lora Read. Elle indique les différents points d’orientation de la traite négrière ainsi que les sites d’esclavage. Cette grande boite représente « la connaissance du passé et sur lequel se construit en partie la mémoire collective » et « la constellation des éclats de quartz représentant les millions d’âmes disparues ». C’est une  architecture moderne, dans l’air du temps qui rappelle le stade « nid d’oiseau » de Pékin ou le MuCEM marseillais. L’ensemble est beau et cohérent. Le musée n’a rien à envier à ses confrères du continent européen et peut se targuer d’avoir été inauguré par Jesse Jacskon, personnalité de luttes pour les droits civiques aux Etats-unis, ainsi que le président de la République.

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Articulé en 6 périodes historiques, la Macte se distingue particulièrement dans l’utilisation ingénieuse qui est faite de la technologie. On appréciera le fait que loin d’être futile, la technologie est parfaitement au service de l’enseignement de cette l’histoire difficile avec profondeur. Elle dynamise le parcours de manière interactive et ludique, tout en évitant de tomber dans l’écueil du divertissement. Au fur et a mesure du parcours, des écrans, des projections, des contes, de la musique des illustrations.  L’apothéose de ce parcours est sans aucun conteste le « simulateur » de bateau négrier. Il qui permet d’appréhender l’horreur des conditions de voyage dans les bateaux négriers et c’est une petite prouesse technique. Enfin, tout au long du parcours sont disséminés des assises et des oeuvres contemporaines (le rituel de l’arbre, l’allégorie de Thierry Allet) ou le jardin créole qui permettent de prendre du recul sur l’horreur. Le mémorial n’usurpe pas sa volonté de faire un trait d’union entre l’histoire de l’esclavage et un futur plus positif.

Ce n’est pas assez pour Élie Dommota, leader syndicaliste local. Tout en insistant sur la nécessité de mémoire, il croit qu’il est tout aussi important d’ouvrir le dossier de ce qu’il appelle « l’indemnisation d’esclaves et de la restitution des terres ». Ce débat s’il a eu une moindre résonance en métropole a largement été traité par les médias d’outre-mer, en Guadeloupe notamment. L’association citoyenne ambition Guadeloupe regrettait le doublement des coûts de construction du mémorial (85 millions) alors que le taux de chômage est le plus élevé qu’en métropole et que le CHU de Guadeloupe dont on attend encore la rénovation est en « état de souffrance ».

« Même si y aller est une question de priorité » on peut s’interroger comme Kevin (employé a la M. ACTe ) sur les 15 euros de tarif d’entrée. S’ils étaient nombreux à avoir fait le déplacement quand l’entrée était gratuite, « à ce prix les locaux viendront peu, je le vois ».

Pour ma part je noterais qu’alors qu’il y a du soleil en Guadeloupe, aucun panneaux solaire n’a été installé !