Rap et Gentrification – « Le Hip-Hop nous donnait de la force »

Il y a peu, Canal 93 organisait une excellente conférence sur la gentrification et l’esthétique Hip-Hop, dans le cadre de son festival Terre(s) Hip-Hop 2015. Une bonne occasion pour raviver le débat, à la rencontre entre urbanisation, représentations et rap.

Les intervenants, peu nombreux, sont plus que compétents : Séverin Guillard chercheur dont la thèse en géographie porte sur « représenter sa ville » et l’ancrage des identités dans le rap ; un journaliste, Mehdi le solide chroniqueur de l’Abcdr du son ; et Mourad Saadi, l’homme du terrain, programmateur du futur centre culturel Hip-Hop des Halles modestement baptisé « La Place ».

Pour remettre les pendules à l’heure, Mehdi commence par un petit brief historique. Il nous remet en mémoire les débuts du Hip-Hop en France, à l’époque où seuls de rares pionniers s’emparent du mouvement américain. Des débuts où le français n’est pas vraiment la langue assumée pour rapper. A l’époque de Dee Nasty sur Radio Nova ou du célèbre terrain vague de la Chapelle à l’été 1986. Une période où le Hip-Hop est un phénomène si restreint que les médias passent devant sans rien voir. Et c’est par le mauvais bout que les médias finissent par saisir le phénomène, notamment avec les déboires judiciaires de NTM ou les débordements de la Fnac des Ternes. Par un amalgame assez foireux, le rap devient un truc de casseur, donc un truc de banlieue. En plein bouillonnement créatif, le rap français des années 90 se voit cantonné par la presse parisienne à ces trois mots, « nique ta mère ». Le fossé se creuse entre la capitale et sa banlieue. Paris terrifié verrouille les portes de la création intra-muros et impose un circuit de réussite par les grandes majors. Au même moment Skyrock assoit sa notoriété et ses fesses sur le rap game. Le passage est obligatoire et rares sont ceux comme Lunatic qui réussissent à percer en indépendant.

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Fatalement, un jeu de regards se construit. Alors que Saint-Denis, Vitry, Bobigny regardent vers Paris, la capitale regarde sa banlieue d’un seul œil englobant. Sans distinguer les différents visages qui encerclent son périphérique, sans même savoir qu’il existe du rap parisien, la capitale cristallise ce discours réducteur. Bien sûr la faute n’est pas seulement celle des majors et des grands médias parisiens, certains rappeurs profitent pleinement de cette image sulfureuse pour attiser le feu sur les plateaux TV.  Si la médiatisation permet de donner des ailes aux Hip-Hop, elle en réduit du même coup sa richesse et tait la myriade d’identités qui émergent de la banlieue. L’expression 9-3 qui se popularise, résume presque à elle seule la méconnaissance et le désintérêt des grands médias pour la petite couronne.

Progressivement, le Hip-Hop change de visage. Mourad Saadi le constate avec surprise : les pionniers de la première heure, ceux qui insistaient pour que la MJC reste ouverte 24/24h, se transforment en fans d’un jour. « Je me mets au break dance pour maigrir » entend-il avec stupeur. Les parents désormais amènent leurs enfants aux cours de danse Hip-Hop, qui deviennent des activités extra-scolaires. Les bambins dansent alors sur les pas de Beyoncé. Où sont les X-Men et les Roger Troutman s’écrieront les puristes. Ils sont bien loin, rangés dans les cartons à vinyles de quelques passionnés. Alors que certaines villes de banlieue comme Montreuil s’embourgeoisent, la gentrification oeuvre à changer les populations. Nourris au rap dès l’adolescence, une nouvelle génération débarque avec un autre oeil sur le périphérique. La banlieue devient cool comme en témoigne l’existence du collectif 75021 par exemple. Pour Séverin Guillard, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène lié au prix de l’immobilier, le rap contribue à cette réévaluation symbolique.

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Mais hors d’Ile de France, ces histoires n’ont pas vraiment d’importance, « depuis Lille, la banlieue c’est Paris » précise Rania de l’association Call 911 qui est assise dans les tribunes. Se pose alors la questions de l’identité régionale, dans le rap. Peut-on généraliser, peut-on dire que le rap du nord est conscient ? Peut-on dire des flows du sud de la France qu’ils sont influencés par le rap californien ? Impossible de généraliser conclut l’assemblée. D’une Casey aux gars de Set & Match, d’un Gradur à un Despo Rutti, chaque plume est unique et le rap français n’a pas au sein de ses régions une force identitaire fédératrice comme il existe Etats-Unis.

Mais ces interrogations tournent court lorsqu’un nouveau venu dans le public prend le micro. C’est un de ces pionniers… Il clame que le Hip-Hop est une affaire personnelle, presque une religion, qui lui a donné de la force, qui l’a fait avancer quand autour de lui les radios crachaient du Mylène Farmer. Le rap pour lui c’est de l’ordre de l’intime, et sa professionnalisation n’est pas vraiment envisageable.

Si elle ferme les yeux sur la réalité du marché culturel, cette posture quasi-idéologique nous rappelle ce qu’est exactement la force du rap : réunir une mosaïque de personnalités dans les mêmes salles sombres où ensembles, ils pourront hocher de la tête en rythme.

Retrouvez la programmation du festival Terre(s) Hip Hop

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