24 Heures du Mans : bière ou bitume, ne choisissez plus

24H Mans
Si le charme du Mans ne se réduit pas aux voitures et à ses rillettes, il n’en reste pas moins que la course d’endurance automobile représente pour la ville son événement le plus important de l’année et la raison pour laquelle elle est connue mondialement. À l’occasion des 24 heures du Mans, la petite ville universitaire se transforme pour accueillir plus de 250 000 spectateurs durant un week-end. Transports, restaurants, foyers et routes vivent au rythme du circuit. La ville prend alors les allures d’une sorte d’immense fête foraine érigée en l’honneur des voitures et du bitume.

 

La 85ème édition d’un événement emblématique

Les 24 heures du Mans, c’est une course d’endurance automobile qui a lieu chaque année depuis 1923. Cette année la course a commencé le samedi 17 juin à 15h pour se finir le lendemain à la même heure. Plus de 180 pilotes se sont affrontés à bord de 60 voitures à la pointe de l’innovation. Chacune des 22 écuries en lice comptait 3 pilotes qui se sont relayés à tour de rôle toutes les deux ou trois heures.

Plus de 16 nationalités étaient représentées lors de la course. Les 24H ont en effet acquis une renommée mondiale et compte parmi les 3 courses sur circuit les plus prestigieuses aux côtés des 500 miles d’Indianapolis et du Grand Prix de Monaco.

Pour la 85ème édition des 24H, Porsche a signé sa 19ème victoire face à Toyota qui avait pourtant largement remporté les essais avec un record de circuit.

Une sorte d’immense fête foraine de la bagnole

C’est dès la première course, en mai 1923, que diverses activités viennent se greffer au 24H : un orchestre de jazz, des matches de boxe, des spectacles de rue et des stands de frites ou de café…

Plus qu’un rassemblement autour d’une passion commune, les 24H c’est un peu une fête foraine géante où l’on se retrouve en famille ou entre amis. Les gens viennent pour la course mais avant tout pour l’ambiance festive : on se balade autour des derniers modèles présentés sur les stands des constructeurs, on boit des coups entre amis sur des petites chaises pliables camping et on tente même l’expérience des simulateurs de vol, du baptême en hélicoptère ou de la grande roue. Cette année, les spectateurs pouvaient également assister au concert de Kool & The Gang en plus de nombreuses autres performances, soirées VIP et expositions.

La ville se met au rythme des 24 heures

Si la course en elle-même ne dure que 24H, elle mobilise toute la ville bien avant : la semaine qui précède le départ est rythmée par les traditions du Pesage (une semaine auparavant, les teams et les pilotes viennent faire peser les voitures afin de vérifier si leur poids est réglementaire) et de la Parade (la veille de la course).

L’occasion pour les écuries de venir saluer la ville sur la place blanche de la République.

Ces moments ont une symbolique forte d’autant plus que dans la région les gens sont bercés depuis tout petits par les 24H : « Quand j’étais petite, mon père et mon frère allaient aux 24H et sans y aller je sentais qu’il y avait une ambiance particulière… La fête n’est pas que sur le circuit mais dans toute la ville et dans tous les foyers » explique Oriane, jeune Mancelle étudiante en kiné.

En plus des bolides rangés dans les caisses de jouet, l’enfance est accompagnée par les Ferrari, Porsche, Aston Martin grandeur nature que l’on peut venir admirer en ville, sur le circuit et… sur les parkings des 24H.

Des spectateurs se pressent du monde entier et font pour quelques jours du Mans une ville cosmopolite où les échanges multiculturels peuvent être nombreux et enrichissants. « Ça fait 6 ans qu’on vient depuis Medellin (Colombie) uniquement pour voir la course ! » s’exclame une famille colombienne réunie au complet pour l’occasion.   

Une manne financière pour la ville du Mans

Selon les chiffres de l’Automobile Club de l’Ouest (ACO), organisateur de la course, la course avait généré en 2014 plus de 91,75 millions d’euros en retombées directes (billetterie et droits TV), indirectes (hébergement et restauration) et induites (entreprises dépendant des sports mécaniques dans le secteur).

La renommée et l’attractivité financière de la course en ont fait un véritable argument marketing utilisé aussi bien par les acteurs privés que par les pouvoirs publics. Les 24 heures du Mans sont d’ailleurs une marque déposée depuis 1968 par l’ACO tout comme le devient plus tard la marque Le Mans.

Bordeau Chesnel, qui produit ses rillettes à quelques kilomètres du Mans, décide ainsi dès les premières courses d’associer sa marque au nom de la ville sarthoise tandis qu’en 2014, pour annoncer l’ouverture d’un de ses restaurants sur Twitter, la marque Burger King ironise : « Enfin une bonne raison d’aller au Mans sans y passer 24h.»

La ville et ses commerçants quant à eux surfent sur le succès des 24H Autos et ses déclinaisons en 24H Motos (1977), 24H Camions (1985) ou encore 24H Rollers (2000)… certains parlent même du lancement des 24H Déambulateurs… !

Les 24H Camions 2017 par l’Office du tourisme du Mans

Asphalte, patates chaudes et blagues de cul

La veille de la course, les écuries sont ouvertes et l’on peut venir admirer les derniers réglages apportés aux voitures. Les badauds et les familles se promènent sur l’asphalte du circuit et l’on peut assister à quelques scènes touchantes père-fils.

Pourtant, au cours de votre balade, vous remarquerez certainement un penchant irrésistible pour les insanités en tout genre balancées avec un humour plutôt inventif. Des graffitis sur les murs d’un tunnel aux blagues faites aux serveuses des stands, les spectateurs à dominance masculine ne manquent pas de créativité.

Tandis que certains prennent des selfies devant les voitures exposées de part et d’autre, on entend soudain : « À quatre pattes sur l’asphalte ça peut partir en tête à queue. » Les métaphores filées entre la voiture et le cul sont nombreuses et s’expriment parfois par le dessin comme en témoigne ce petit croquis :

Le jour de la course, on traverse les couloirs bétonnés menant aux gradins accompagnés par la voix enthousiaste du commentateur qui s’exclame : « Oh c’est chaud par derrière… sortie de chicane. Il lui passe devaaaant… ah non il n’a pas été dépassé… il vient jouer les alliés, ohlalala, ils sont au coude à coude ! »

À la nuit tombée, les moteurs continuent de rugir tandis que les voitures s’illuminent de couleurs fluorescentes. « C’est le turfu les gars ! » balance un mec en s’adressant à ses potes.

Au bar, on continue de commander des bières, des paninis et des patates. Tout le monde s’amuse et s’enivre au pays des grands jouets.

Pendant ce temps-là, la course continue : les uns enfilent les tours de tarmac, les autres enchaînent les pintes de houblon.   

Un enterrement de vie de garçon au bar

C’est l’amour sur le tarmac

Nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui se retrouvent au Mans un peu par hasard : le personnel, des ami.e.s invité.e.s à passer le week-end au camping… et moi.

Ma grand-mère, pas du tout fan de voitures, s’y était elle-même retrouvée à plusieurs reprises. Avant de partir elle m’avait même dit de prévoir un K-Way car « il pleut toujours aux 24H. »

Il y a toujours des exceptions : le temps en 2017 était caniculaire et l’asphalte ondulait sous le soleil. Peu importe la météo, ce qui ne change pas, c’est que comme tous les grands rassemblements festifs, à l’instar des festivals de musique pour certains, les 24Hh sont une formidable plateforme de rencontres. En témoignent encore une fois les graffitis du tunnel (Marine + Pierre 2014, 2015, 2016, 2017 entourés d’un coeur) ou encore cette anecdote racontée à mon retour : « Mes parents se sont rencontrés au Mans ! Ma mère était venue un peu par hasard, elle ne s’attendait à rien. Mon père avait rangé sa tente pendant plus de 2h le matin… elle avait trouvé ça bizarre mais finalement me voilà ! »

Le tourisme et les marques, la foule et les bagnoles : pour combien de temps encore ?

Les voitures font en moyenne 360 tours sur une piste mesurant 13 kms et ont consommé en 2016 selon Ouest France plus de 280.000 litres de carburant. On pourrait s’interroger sur l’empreinte écologique d’un tel événement.

Et encore, ces chiffres ne concernent que la course principale et ne tiennent pas compte des 24 Heures motos, des Essais Le Mans Séries, du Championnat de France Superbike, des 6 Heures du Mans 50 cc, du Mans Classic, des 24 Heures Camions ou encore du Trophée Inter-écuries. Si la ville tente de valoriser son circuit via ces déclinaisons des 24H ou des événements comme les Demoiselles de Bugati à l’occasion de l’octobre Rose pour le cancer du sein, l’impact environnemental est incontestable.

Tandis que le site CarFree proposait la création des 24H du Mans de ta ville en proposant l’organisation de courses à chariots dans toutes les villes de France, le site officiel des 24H mettait en avant l’héritage écologique de la course, à savoir la recherche pour des moteurs moins consommateurs, l’hybridation, etc. Un partenariat pour le recyclage des canettes a même été lancé avec Chaque Canette Compte (8 tonnes de canettes recyclées).  

« Hormis pour la circulation, il n’y aura jamais un Manceau qui se plaindra de l’événement. En fait, la ville gagne tellement côté festif, animations et bonne humeur que les gens ne se posent pas vraiment la question de l’écologie. » explique Oriane. Deux habitants du Mans remarquent qu’« avec la remise en cause de l’existence des 24H du Mans, c’est toute l’industrie automobile qui est remise en question. »

Nombreuses sont les villes dont le nom est intimement associé à un événement (on pense notamment à Angoulême ou Avignon dont nous parlerons prochainement sur Noise). Ce sont des villes de passage qui tentent par ailleurs d’attirer les visiteurs en dehors de la période de l’année pour laquelle elles sont connues : mais malgré les tentatives de diversification d’activités de la ville, si les 24H s’arrêtent un jour, ira-t-on encore au Mans ?

Certes, l’automobile fédère et l’on peut dire sans hésiter qu’une fantastique énergie se dégage de la course. Pourtant, ne vivons pas toujours comme si nous n’avions que 24h et tentons de penser à la suite.


Photos et texte : Fiona Forte