Hip Hop sous acides

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Plus de 40 ans après sa naissance, le Hip-Hop a développé un rapport ambigu voire fusionnel avec la drogue. Au delà des simples trafics et de la revente, une culture de la drogue émerge à travers l’histoire du rap américain. Un usage qui s’est démocratisé : en 2005, une étude basée sur 279 chansons du Top américain révèle que 77% des chansons de rap font référence aux drogues et à l’alcool. Après les rappeurs de la Beast Coast, les poppers et autres Molly, les codes sont chamboulés par l’arrivée d’un petit nouveau, les drogues psychédéliques. Retour sur la petite histoire de la drogue dans le Hip-Hop.

Indétronable Chronic

Quand on évoque la drogue dans le milieu du Hip-Hop on ne peut pas s’empêcher de s’imaginer un rappeur paré de chaines en or en train de s’allumer un cône de plusieurs décimètres. Le cannabis a longtemps été un passage obligé dans le rap et de nombreux rappeurs se sont illustrés en partageant leur amour pour Mary Jane, la troisième drogue récréative des États Unis après le tabac et l’alcool. En témoigne le principal représentant du Hip-Hop outre-atlantique, sa majesté Dr Dre et son album The Chronic, qui est tout simplement le nom d’une variété de Sativa. Dans ce bijou de l’histoire du Hip-Hop, le compte est vite fait, sur 71 références aux drogues, on en dénombre 64 pour faire l’apologie de la feuille verte. Le cannabis est en vogue et rien ne semble pouvoir le déloger. À côté, les drogues dures sont l’objet d’un discours nettement moins assumé. « Sell it and don’t do it » disait Grand Master Mel Melle dans White Lines, une chanson sur la Cocaïne. Cette punchline reste longtemps une ligne de conduite implicite du Hip-Hop old-school. L’overdose de Dj Screw en 2000 n’y changera rien, il faut attendre Asap Rocky avec son hit « Purple Swag » pour que le purple drank – cette boisson à base d’un puissant sirop antitussif – apparaisse dans les clips. Pourtant les drogues dures ont des effets désastreux pour les communautés les plus pauvres. La majorité des rappeurs venant de ces mêmes quartiers, le Hip-Hop se présente plutôt comme une alternative aux trafics et à la violence.

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Le premier à vraiment briser le tabou n’est pas un obscur rappeur underground, c’est un grand : Eminem. Après plusieurs albums légendaires, le rappeur de Detroit qu’on a vu avaler un gros taz sur la scène de Bercy en 2001 vit une longue période noire. Dans The Way I am, il raconte ses addictions au valium et à la méthadone qui l’entrainent plusieurs fois en cure de désintoxication et le force à arrêter le Anger Management Tour en 2005. Dans le même temps, les références aux ventes de drogues dures explosent jusqu’à glamouriser la revente du crack et d’héroïne alors qu’elles gangrènent les quartiers. Ainsi, même si les arrestations dans le milieu de Hip-Hop se multiplient pour des cas de possessions de drogues dures, ceux qui confessent s’être tournés vers ces nouvelles drogues, comme c’est le cas d’Eminem, cherchent avant tout à se repentir dans leurs textes, biographies ou dans la presse. Pendant le boom des puissants additifs au cannabis Jay-Z lui même avoue s’y est aventuré et regrette son choix dans « You me, him and her » en condamnant cette dangereuse voie car elle impacte sa capacité à créer et prendre des décisions.
Pourtant tout va changer très rapidement. Au cours de la première décennie de notre siècle, les drogues dures sont sorties du rôle négatif auquel elles étaient cantonnées pour devenir un accessoire soi-disant indispensable pour le « life style hip-hop » voire une source d’inspiration et d’épanouissement.
Le premier à mettre le feux aux poudres et lancer véritablement le débat, n’est ni plus ni moins que le DJ et producteur A-Trak boss du label Fool’s Gold. Il s’étonne de la place que prend la consommation de drogues dures dans le milieu du rap américain et l’hypocrisie qui entoure le sujet puisque personne n’en parle en dehors de leurs sons. Pourtant à entendre les Flatbush zombies, Action Bronson et autres Underachievers, on a la sensation que ce tabou est brisé pour de bon.

Révélateur d’âme – Beast Coast

Le paysage du rap américain change vite, après la vague trap, ce groupe d’ovnis qui se tourne vers les drogues dures nous donne la chance de voir apparaître une scène alternative qui s’éloigne des classiques et des clichés du rap américains old-school.
Ce renouveau est incarné par la beast-coast (qui vient du slogan « West Coast is the best coast » transformé avec East). Le mouvement cristallise ces sauvageons du Hip-Hop américain qui composent la nouvelle scène trippy-expérimentale. A travers leurs interviews on a cette impression, que les drogues dures constituent une étape essentielle dans leur processus de production musical, une sorte de hip-hop psychédélique même si les membres rechignent à utiliser ce terme. La musique qu’on définirait comme psychédélique consiste à produire de la musique sous influence de drogues dites « psychédéliques » en s’inspirant des séances de défonces.

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Avec eux, le rapport aux drogues dures change radicalement et le tabou qui les entoure se dissipe. Leur popularité grimpe en flèche, chez les artistes autant que chez leur public. Ce n’est pas un hasard si un des albums le plus buzzé l’année dernière s’appelle Acid Rap par Chance the rapper. Chance, lui, s’en fout de vendre de la drogue tout ce qu’il veut c’est prendre un buvard et un Xanax pour faire un bon trip. Le plus taré est certainement Danny Brown, le rappeur qui se disait chanceux d’être encore en vie à 28 ans après tout ce qu’il s’est injecté dans son corps. Danny Brown expliquant que sa consommation fait simplement de lui un meilleur rappeur. Dans une de ses interviews, il déclare « Les psychédéliques t’amènent à penser en dehors du domaine de la société. Quand tu tapes des drogues psychédéliques, toute cette merde n’existe plus ». Puis il ajoute « Si tu es une personne éclairée, les psychédéliques te permettront de penser des trucs dont tu es capable. Mais si t’es un abruti, ça va t’abrutir encore plus. Les drogues psychédéliques ne font pas tout. C’est juste un don pour les personnes éclairées ». C’est la source même du psychédélisme, la révélation de l’âme. (Psychédélisme vient du grec psyche et dleine, signifiant révélateur de l’âme).

Ce principe, les rappeurs de la Beast-Coast se le sont réappropriés pour en faire leur philosophie de vie, qu’on retrouve au cœur de leur musique. Les Flatbush zombies racontent ainsi « Je vis selon le crédo D.R.U.G.S qui signifie « réincarnation supervisée par Dieu« . Je suis mort quand j’avais 16 ans, la première fois que j’ai pris des champignons. J’ai pris la réalité en pleine tête ! », et de conclure, « Après toutes ces années de lavage de cerveau, ce trip m’a réveillé. C’est là que je suis devenu un zombie ». Le même son de cloche résonne chez les Underachievers qui considèrent tout simplement leurs bad trips comme des déclics, qui les transformeront en meilleures personnes. Au delà de l’aspect philosophique, cette nouvelle énergie issue des drogues rejaillit donc sur le plan artistique. L’artwork de leurs covers en dit long. On retrouve un univers psychédélique très coloré proche des pochettes d’albums du temps des Pink Floyd. La ressemblance est d’autant plus frappante quand on compare cette cover des années 60 du groupe Rajput & The Sepoy Mutiny et celle de DRUGS réalisée par les Flatush Zombies. Impossible de ne pas rapprocher ces nouveaux allumés aux chevelus des années 60. Le Hip-Hop mêle désormais sans honte ses racines à celles de la génération psychédélique, le « peace and love » en moins.

Drogues mashup album

Seulement attention, il ne faudrait pas réduire la Beast Coast à son simple usage de drogues comme ils s’acharnent à le répéter dans leurs interviews. Ces rappeurs ne font pas des drogues psychédéliques un passage obligé pour leurs fans. Ils n’incitent pas eux-mêmes à la consommation. Les Flatbush insistaient et précisaient qu’il n’est « pas nécessaire de prendre de l’acide pour nous écouter, notre musique va au delà de ça, c’est juste notre trip et notre façon de vivre et de voir les choses ».

Fakers

« It’s funny to see how now rappers be on that drugging shit ». Dans la chanson Palm Trees des Flabush Zombies, le rappeur s’étonne comme A-Trak de l’ampleur du phénomène. Alors que le son Beast Coast connaît un succès fulgurant, de nombreux rappeurs tentent de profiter de ce nouveau créneau. Et ca ne fait pas l’unanimité dans le monde du Hip-Hop.

Drogues death molly

En 2013, un mot est sur toutes les lèvres : Molly. Cette abréviation de « molécule » en anglais désigne la forme la plus pure de l’ecstasy. Plus qu’un mot, qu’une drogue, le phénomène devient une mode. Trinitad James fait un énorme buzz avec des punchlines du genre « Popped a molly i’m sweating woop » (la version de 6 minutes non-stop a atteint plus de 7 millions de vues). On a même vu Lebron James la fredonner entre deux paniers, sous le regard des caméras et donc de toute l’Amérique. Même Rick Ross, ancien maton et faux baron de la drogue dit s’y être mis dans la chanson UOENO. La tendance des drogues psychédéliques se serait donc élargie à toute la communauté Hip-Hop.

Autant être clair, ce n’est certainement pas le cas, beaucoup en parlent pour de grosses doses d’égo trip, mais la majorité considère cette tendance comme l’aubaine du moment. De nombreuses voix se sont ainsi élevées pour s’insurger contre ces tentatives de récupération de nombreux rappeurs. À la fin du clip de « Bitch Don’t kill my vibe » de Kendrick Lamar la caméra se tourne sur le cercueil, l’écran devient en noir, puis les lettres DEATH TO MOLLY apparaissent en blanc. Le rappeur de Compton veut dénoncer cette vague éphémère de la folie-molly et son avis est clair sur la question « Tout ca n’apporte rien au Hip-Hop, ca l’entraine vers le bas » puis au protégé de Dr Dre d’ajouter « Il est temps de passer à autre chose, tout le monde en parle dans le milieu mais je ne vois rien de nouveau et d’intéressant ». Comme toute mode dans le hip-hop, des stupides danses initiées par SouljaBoy au sirop antitussif pour se défoncer, la folie molly risque de tomber dans l’oubli et internet ne pourra qu’accélérer ce changement. Il est inimaginable de voir des rappeurs comme 2 chainz et Kanye West (même si il évoque aussi Molly dans Clique) commencer à se forcer à avaler des cachets juste pour continuer de surfer sur la vague de la beast coast… La surexposition médiatique a permis à la nouvelle scène de se montrer, comme ce fut le cas avec l’explosion de la trap qui a disparu des radars (Gucci quoi ?). Mais pas d’inquiétude, quand les lumières médiatiques s’éteindront, le bruit sourd des cris provoqués par les visions hallucinogènes continuera de résonner sur les productions Beast-Coast.

Drogues action bronson Hip Hop Rap US

 


Hugo du Plessix

1 Comment

  • Captain Popo dit :

    Pas mal l’article! Quelques trucs qui pourraient t’intéresser
    Par contre le sirop antitussif a toujours été présent dans l’imagerie du rap du Sud des Etats-Unis (Houston, Atlanta, Memphis en particulier). Three 6 Mafia de Memphis a fait un carton avec Sippin on Some Sizzurp (https://www.youtube.com/watch?v=lOWKGXpl9E0 ). Beaucoup de références au « lean », « purple drank » et d’apparitions des « double cup » dans les clips à partir des années 2000 (Lil Jon’, Gucci Mane et beaucoup d’autres). ASAP Rocky a juste popularisé le truc au delà du Sud (en reprenant/réadaptant l’imagerie et le son du rap de Houston).

    Sur les drogues dures sinon, vers la fin des années 90 et le début des années 2000, beaucoup de référence à la consommation d’héroïne chez les artistes de la Nouvelle Orléans, chez Cash Money avec Birdman, Turk, B.G. et même Lil WAyne qui évoquent la consommation récréative d’héro, et chez No Limit avec Soulja Slim (la chanson Powda Bag http://www.youtube.com/watch?v=jm0YZs7_ZZ4 ).
    Et le rap de la Bay Area (la scène hyphy de San Francisco-Oakland, Mac Dre, E-40, etc) avait aussi un gros truc pour l’ecstasy dès les années 90.

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